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Les voyages interdits

Les voyages interdits

Titel: Les voyages interdits Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gary Jennings
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réveille-toi !
    — Adrìo de vu ! lâcha-t-il avec humeur. Pourquoi m’as-tu arraché à ce
merveilleux jardin ?
    — Je crains qu’il ne se soit agi du jardin des
haschischins. Et je viens de poignarder l’un de ces Egarés.
    — Mais c’est notre hôte ! cria mon oncle qui
venait de s’asseoir et de découvrir la forme effondrée sur le sol. Oh, scagaròn, qu’as-tu fait là ? Te reprendrais-tu pour un bravo, par
hasard ?
    — Non, tonton, regarde. C’est son propre couteau
qui est enfoncé en lui. Il était sur le point de te tuer pour ta bourse de
musc.
    Comme je lui relatais les circonstances du drame,
j’éclatai en sanglots. Penché sur le vieil homme, oncle Matteo l’examina :
    — En plein dans le bide. Il n’est pas mort mais
il en prend le chemin. Se tournant vers moi, il me dit gentiment : Allons,
allons, mon garçon. Sèche tes larmes et va réveiller ton père.
    Qu’il fût vivant, mort ou mourant, Beauté de la lune
vertueuse ne valait pas la corde pour le pendre. Mais il était le premier homme
que j’eusse jamais tué de ma main, et le fait de donner la mort à l’un de ses
semblables est tout, dans la vie d’un homme, sauf anodin. Alors que je me
dirigeais vers mon père pour le tirer à son tour du jardin des délices, je
songeais à quel point j’étais plus que jamais heureux que ce fût, à Venise, une
autre main que la mienne qui eût plongé l’épée dans ma première innocente
proie. Car je venais d’apprendre une chose : lorsqu’on tue un homme, en
tout cas quand on le transperce d’une lame, celle-ci pénètre assez facilement
dans la chair de la victime, presque avidement, comme avec le consentement de celui
qu’on poignarde. Mais alors, elle se trouve comme saisie par les muscles
déchirés, retenue aussi étroitement que l’avait été mon propre outil dans les
chairs virginales de la jeune Doris. Je n’avais eu aucun mal à enfoncer ma lame
dans le ventre du vieux Beauté, mais je ne pus l’en retirer. J’avais à cet
instant compris, et cela me révolta, qu’un acte aussi horrible et aussi simple
ne pourrait plus jamais, une fois accompli, être annulé ou effacé. Cela rendait
au meurtre sa sinistre vérité, moi qui me l’étais longtemps peint sous les
couleurs de l’exploit intrépide, du panache, voire de l’action d’éclat.
    Lorsque j’eus réussi, non sans mal, à remettre mon
père sur pied, je l’amenai sur la scène du crime. Oncle Matteo avait étendu le
tenancier sur sa propre paillasse de couvertures malgré l’écoulement de son
sang et avait disposé les membres de Beauté dans une position assez digne pour
attendre la mort. Tous deux étaient en train de converser, comme deux
compagnons ou peu s’en fallait. Le vieil homme était le seul d’entre nous à
être habillé. Il leva les yeux vers moi, son meurtrier, et dut voir sur mon
visage la trace des larmes car il déclara :
    — Ne regrette rien, jeune infidèle. Tu as occis
le plus égaré de tous. J’ai commis une terrible faute. Le Prophète – que la
paix et la bénédiction soient sur lui – nous enjoint de traiter un invité avec
la plus grande révérence et le plus profond respect. Fût-il le plus misérable
des pauvres, même un incroyant, n’y eût-il plus dans la maison qu’une seule
miette à manger, la famille de l’hôte étant affamée, c’est encore à l’invité
qu’il faut offrir cette miette. Même à son ennemi juré, celui qui reçoit doit
hospitalité et protection tant qu’il est sous son toit. J’ai désobéi à cette
loi sacrée, ce qui m’aurait privé, si j’avais vécu, de ma Nuit de tous les
possibles. Aveuglé par ma cupidité, j’ai agi sans réfléchir et j’ai péché. Pour
cette faute, je demande le pardon.
    J’essayai de répondre que je pardonnais, mais ma voix
s’étrangla dans un sanglot, ce dont je me félicitai aussitôt après quand je
l’entendis poursuivre :
    — J’aurais pu aisément droguer votre petit
déjeuner demain matin et vous laisser prendre un peu de distance avant que vous
ne tombiez inanimés. J’aurais alors pu vous dévaliser et vous tuer en plein
air, et non sous mon toit. Cela aurait été considéré comme un haut fait
vertueux et aurait plu à Allah. Mais je n’ai pas choisi d’agir ainsi. Bien que
j’aie toujours connu une vie de dévotion et de foi, bien que j’aie tué beaucoup
d’autres infidèles pour la plus grande gloire de l’Islam, cet acte d’impiété me
coûtera

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