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Les voyages interdits

Les voyages interdits

Titel: Les voyages interdits Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gary Jennings
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assigne alors une tâche, par exemple celle de tuer un ennemi de la
Foi, de voler ou de cambrioler pour garnir les coffres du Vieil Homme, ou de
détrousser les infidèles qui ont osé s’introduire sur les terres des Mulahidat. S’il s’exécute correctement, il se voit offrir la merveilleuse récompense
espérée. Et ainsi de suite, pour chaque nouvel exploit accompli grâce à cette
extrême dévotion.
    — Chacune de ces nouvelles nuits, fit observer
mon oncle d’un ton sceptique, n’étant au fond rien d’autre qu’un nouveau rêve
vécu sous l’influence du haschisch... Ce sont vraiment des égarés, en effet.
    — Oh, le mécréant ! gronda Beauté.
Expliquez-moi donc, par votre barbe, comment vous parviendriez, vous, à
distinguer le souvenir d’un rêve délicieux et la mémoire d’une savoureuse
expérience vécue ? Ils n’existent plus, tous deux, que dans votre mémoire.
Si vous en référiez à un tiers, comment pourriez-vous prouver que l’un est
arrivé pendant que vous dormiez, tandis que vous avez réellement vécu
l’autre ?
    Affable, Matteo répliqua :
    — Je vous dirai cela demain matin, car pour
l’heure je tombe de sommeil.
    Il se leva et s’étira lourdement en bâillant de façon
effrayante.
    Il était un peu plus tôt que notre heure habituelle de
coucher, mais comme mon père et moi-même bâillions aussi sans arrêt, nous
suivîmes tous Beauté de la lune vertueuse. Nous étions ses seuls clients, il nous
avait donc alloué à chacun une chambre privée, propre, nette et garnie de
paille fraîche.
    — Voilà, des chambres individuelles pour tous,
afin que vos ronflements mutuels ne vous dérangent point, annonça-t-il
obligeamment. Ainsi, vos rêves ne seront pas perturbés.
    Il n’empêche, celui que je fis l’était
particulièrement. Je rêvai que je me réveillais, comme les Egarés de
l’histoire, dans un jardin idyllique rempli de fleurs plus belles que celles
que je connaissais. Dans cet écrin coloré dansaient des créatures si sublimes
qu’on n’aurait pu dire – et d’ailleurs, quelle importance ? — s’il
s’agissait de filles ou de garçons. Dans la langueur de mon songe, je me
joignis au groupe de danseurs et me rendis compte, comme c’est souvent le cas
en pareille situation, que le moindre de mes mouvements, de mes pas et de mes
déhanchements était d’une lenteur onirique, comme si l’air n’était plus que de
l’huile de sésame.
    Cette pensée me fut soudain si répugnante (même plongé
dans le sommeil, cette horrible expérience me hantait encore) qu’instantanément
le jardin ensoleillé se changea en un verdoyant couloir de palais, que je
descendais à la poursuite d’une danseuse dont le visage était celui de Dona
Ilaria. Virevoltante, elle entra dans une chambre, je la suivis par l’unique
porte et l’attrapai là, puis... Son visage se métamorphosa soudain en celui
d’un vieillard, couvert de verrues et d’une ombre de barbe pareille à une
moisissure, qui d’une voix profonde et masculine prononça le mot «  salamelèch  ».
Je compris soudain que je n’étais plus dans la chambre d’un palais ni dans
celle d’un caravansérail, mais dans l’étroite et sombre cellule du Volcan de
Venise. Le vieux Mordecai Cartafilo m’admonestait : « Pauvre Égaré
que tu es, n’apprendras-tu jamais à te méfier de la beauté, lorsqu’elle est
assoiffée de sang ? » Sur quoi, il me tendit un biscuit blanc et
carré.
    Ce dernier était d’une sécheresse suffocante, son goût
me donna la nausée, si bien que je me relevai – mais vraiment, cette fois, dans
ma chambre du caravansérail – pour découvrir que cet écœurement n’était pas
seulement virtuel. À l’évidence, ce mouton que nous avions mangé était gâté ou
la nourriture qui l’accompagnait avariée, car je me sentis d’un coup fort mal.
Je rejetai mes couvertures et courus, à moitié nu, jusqu’à la petite pièce
retirée où se trouvait le trou d’aisances. J’y penchai la tête, trop souffrant
pour m’offusquer de l’odeur putride qui s’en dégageait ou pour craindre qu’un djinn malfaisant remontât des profondeurs dans le but de s’emparer de moi. Aussi
silencieusement que je le pus, je vomis une repoussante masse verdâtre et,
après avoir essuyé les larmes qui inondaient mon visage, je repris un peu mon
souffle et revins vers ma chambre à pas feutrés. Le couloir passait devant
celle de mon oncle, j’entendis marmonner

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