Les voyages interdits
parmi les chevaux
et...
— Vous venez de nous dire que vous étiez marin,
fit observer mon oncle.
— C’était après ma jeunesse, perspicace maître.
Je suis aussi expert en chameaux. Je puis tirer les horoscopes à la façon des
Arabes, des Perses et des Indiens. J’ai refusé les offres des hammams les plus
réputés qui me proposaient de louer mes services, car, en tant que masseur, je
suis inégalable. Je sais teindre au henné les barbes grises et atténuer les
rides à l’aide d’un baume au vif-argent. De mon unique narine, je peux jouer de
la flûte de façon plus douce que le meilleur musicien ne pourrait le faire de
sa bouche. De plus, lorsque j’utilise cet orifice d’une certaine autre façon...
Tous ensemble, mon père, mon oncle et le wazir explosèrent
d’indignation :
— Dio me varda !
— Ce type vous dégoûterait un ver de terre !
— Débarrassez-vous-en, seigneur négociant !
C’est une tache sur Bagdad ! Attachez-le à un piquet et laissez-le en
pâture aux vautours !
— J’ai bien entendu, wazir, et je n’y
manquerai pas. Dès que je vous aurai donné un aperçu de mes autres
marchandises, peut-être ?
— Il est tard, invoqua Jamshid, évacuant
l’appréciation peu flatteuse qu’il aurait pu lancer au commerçant sur la
qualité de ses fameuses marchandises. Nous sommes attendus au palais. Venez,
messieurs. Demain est un autre jour.
— Et un jour plus limpide, gronda sourdement le
négociant, couvant l’esclave d’un regard vengeur.
Ainsi quittâmes-nous l’enclos aux esclaves et le bazar
pour nous frayer un chemin parmi les rues et les jardins des squares. Nous
étions presque au palais quand oncle Matteo eut cette remarque :
— Vous avez vu ? Cet ignoble chenapan de
Narine ne s’est jamais excusé.
22
Nos serviteurs nous habillèrent une nouvelle fois de
nos plus beaux vêtements, et nous rejoignîmes derechef le shah pour le dîner.
Ce fut encore un repas délicieux, si l’on veut bien en excepter le vin de
Chiraz. Je me souviens que le plat final était un sheriye, une
préparation à base de pâtes en ruban semblables à nos fetucine mais
cuites dans une crème d’amandes et de pistaches avec de minuscules lamelles de
feuilles d’or et d’argent si finement découpées qu’elles se fondent
naturellement dans la saveur du plat.
Pendant que nous dînions, le shah nous annonça que sa
royale fille aînée, la shahzrad Magas, était venue lui demander l’autorisation
– qu’il avait d’ailleurs accordée – de me servir de cicérone et de guide afin
de me faire découvrir la ville et les environs – en compagnie bien sûr d’un
chaperon – durant le temps que nous devions rester à Bagdad. Mon père me glissa
un long regard de côté, mais remercia le shah de sa gentillesse et de celle de
sa fille. Il déclara peu après que puisque, désormais, j’étais à l’évidence
entre de bonnes mains, il ne serait sans doute pas nécessaire d’acheter un
esclave pour veiller sur moi. Il partirait donc pour Ormuz dès le lendemain
matin, tandis qu’oncle Matteo prendrait la direction de Bassora.
Je les vis s’en aller dès l’aube, chacun escorté d’un
des gardes du palais désigné par le shah pour être à la fois leur serviteur et
leur protecteur durant le voyage. Je me dirigeai alors vers les jardins du
palais, où la shahzrad Magas m’attendait, toujours discrètement suivie comme
une ombre par sa grand-mère, prête à me faire bénéficier de cette première
journée en sa compagnie. Je la saluai d’un salââm on ne peut plus
formel, me gardant bien – tout comme elle, pour l’instant – de la moindre
allusion au cadeau qu’elle m’avait promis.
— L’aube est un moment propice pour visiter notre masjid, dit-elle, m’escortant vers ce temple du culte dont elle me fit
d’abord admirer l’extérieur qui était, il faut le reconnaître, somptueux. Son
immense dôme, surmonté d’une boule dorée qui étincelait dans la clarté du
matin, était couvert d’une mosaïque de petites tuiles bleues et argent. La
flèche du minaret ressemblait à une bougie géante, richement décorée de gravures
et sertie de pierres précieuses rutilantes.
J’émis alors une hypothèse toute personnelle, dont
j’aimerais vous faire part ici.
Je savais déjà que les hommes musulmans étaient tenus de
cacher leurs femmes. Ils les confinent dans le silence, les réduisent à
l’inaction, veillent à ce qu’elles
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