Les voyages interdits
demeurent toujours voilées aux regards
extérieurs. C’est ce que les Persans appellent le pardah, un état
d’élimination virtuelle de leurs femmes. Je savais aussi que, par décret du
prophète Mahomet dans le Coran qu’il a écrit, la femme compte parmi les
possessions de l’homme au même titre que son épée, ses chèvres ou les éléments
de sa garde-robe, avec pour seule différence qu’occasionnellement il peut
s’accoupler avec elle dans le seul but d’engendrer une descendance, laquelle
n’a de réelle importance que si elle comporte un garçon, comme il l’est
lui-même. Les musulmans dévots n’abordent jamais, entre hommes et femmes, le
sujet de leurs relations sexuelles, ni même celui de leur couple. Il arrive
cependant qu’à l’occasion un homme, en compagnie de ses pairs, évoque crûment
ces thèmes.
Pourtant, il me vint à l’idée, en observant le masjid ce matin-là, que la méfiance de l’islam envers toute spontanéité sur la
question de la sexualité n’avait cependant pas réussi à éradiquer en
totalité les formes de son expression. Regardez n’importe quel masjid, vous
verrez dans le dôme une représentation fidèle du sein féminin avec son mamelon
fièrement érigé vers le ciel, et dans le minaret une image vivante de l’organe
viril du mâle tout aussi joyeusement raidi. Il se pourrait que je me trompe en
osant ce type de rapprochement...
La princesse me fit entrer dans la pièce centrale du
bâtiment dont les dimensions étaient impressionnantes et la décoration
majestueuse, exclusivement composée de dessins, sans image ni sculpture. Les
murs, ornés de mosaïques où alternaient lapis-lazuli et marbre blanc,
transformaient la pièce en un espace bleu pâle accueillant et d’une grande
douceur.
Outre l’absence totale d’image dans les temples
musulmans, il n’y a pas non plus d’autel, de prêtres, de musiciens, de
choristes, ni d’apparat dans le cérémonial : les encensoirs, les fonts
baptismaux et les candélabres n’existent pas. La messe, la communion et tous
ces rites n’y ont pas cours, la seule pratique observée par des musulmans
assemblés consistant à se prosterner en direction de la sainte cité de La
Mecque, ville de naissance du prophète Mahomet. Celle-ci étant située au
sud-ouest de Bagdad, la niche appelée mihrab creusée dans le mur du
fond, de la taille d’un homme et parée des mêmes couleurs blanche et bleue,
était naturellement orientée dans cet axe.
— Voici ce qu’on appelle le mihrab, dit la
princesse Phalène. Quoique l’islam n’ait besoin d’aucun prêtre, il arrive, à
l’occasion, que la prière soit conduite par un religieux de passage. Il peut
s’agir d’un imam, l’un de ces hommes qui, par leur grande connaissance du
Coran, ont acquis une certaine autorité spirituelle en matière de principes
religieux. Ou d’un mufti, lui aussi expert à sa façon, mais spécialisé dans les
lois matérielles prescrites par le Prophète – la paix et la bénédiction soient
sur lui. Ou encore d’un hadji, l’un de ceux qui ont accompli le long pèlerinage
vers la sainte ville de La Mecque. Pour conduire nos dévotions, le saint homme,
prend place là-bas, dans ce mihrab.
— Je croyais, moi, que ce mot signifiait...,
laissai-je d’abord échapper, avant de me raviser et de me taire face au sourire
coquin de la princesse.
J’avais failli avouer que ce terme désignait dans mon
esprit l’une des parties les plus intimes de la femme, celle qu’une fille de
Venise avait naguère appelée vulgairement la « chatte », avant qu’une
dame de cette même ville l’eût rebaptisée plus élégamment
« minette ». Mais je me rendis soudain compte que la forme même de
cette niche rappelait assez fidèlement celle de l’orifice génital féminin,
légèrement ovale dans son contour puis se rétrécissant au sommet jusqu’à se
refermer en ogive. J’ai visité un grand nombre d’autres masjid, et
partout cette niche conserve la même apparence. Je considère que c’est là un
argument supplémentaire pour étayer ma théorie sur l’architecture islamique.
Cela ne me dit pas pour autant, bien sûr – et je doute fort que les musulmans
le sachent eux-mêmes –, dans quel sens le mot mihrab fut d’abord
employé : dans sa dimension religieuse ou dans son acception plus
grivoise.
— Et là, poursuivit la princesse Phalène, voici
les ouvertures par lesquelles le soleil indique la succession des
Weitere Kostenlose Bücher