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Les voyages interdits

Les voyages interdits

Titel: Les voyages interdits Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gary Jennings
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demander brièvement conseil aux passants
pour apprendre qu’une vieille veuve juive possédait une étable mitoyenne
qu’elle n’utilisait plus. Narine nous y conduisit et fit preuve sur place de
toutes ses qualités de diplomate. Lorsqu’il sortit du logis de la veuve, ce fut
pour nous annoncer qu’elle nous autorisait à installer nos chameaux dans son
étable et à loger dans le grenier à foin situé juste au-dessus.
    — De plus, ajouta-t-il pendant que nous menions
nos bêtes à l’intérieur et commencions à les décharger, comme tous les
domestiques de la maison, Persans musulmans, sont tenus par les règles strictes
du Ramadan, notre digne hôtesse Esther a décidé d’accepter de nous servir le
repas elle-même. Nous allons donc pouvoir à nouveau nous sustenter à nos
horaires ordinaires, et elle m’a de plus assuré être bonne cuisinière. Le prix
qu’elle réclame pour tout cela étant, cela va de soi, des plus raisonnables.
    Mon oncle considéra l’esclave d’un air franchement
ébahi et s’enquit, impressionné :
    — Tu es musulman, religion que le juif abhorre
par-dessus tout, et nous sommes chrétiens, ce qui vaut à peine mieux à ses
yeux. Si cela ne suffisait pas à cette veuve pour nous éconduire proprement, tu
dois être la créature la plus repoussante qu’elle ait jamais rencontrée de sa
vie. Comment, au nom du ciel, as-tu réalisé ce prodige ?
    — Je ne suis peut-être qu’un pauvre sindi et
un simple esclave, mais je ne suis pas ignorant et j’ai de l’initiative. De
plus, je sais lire et j’ai le sens de l’observation.
    — Je t’en félicite, Narine. Mais tout cela ne
répond nullement à ma question et n’enlève rien à ton effrayante laideur.
    Narine gratta d’un air songeur sa maigre barbe.
    — Maître Matteo, vous trouverez souvent mentionné
le mot « beauté » dans les livres saints de nos trois religions – la
vôtre, celle de notre hôtesse et la mienne –, mais jamais le mot
« laideur ». Peut-être nos divers dieux ne sont-ils pas offensés par
la disgrâce physique des simples mortels que nous sommes et la veuve Esther
est-elle une sainte femme. Quoi qu’il en soit, avant que ces livres saints
aient été rédigés, nos ancêtres à tous – les miens, ceux de notre hôtesse, les
vôtres aussi, peut-être – professaient une seule et même religion :
l’ancienne foi babylonienne à présent universellement exécrée et que tous
s’accordent à considérer comme démoniaque.
    — Impertinente canaille ! Comment oses-tu
suggérer une énormité pareille ?
    — Le prénom de notre hôtesse est Esther,
poursuivit Narine sans se démonter. Certaines chrétiennes portent également ce
nom, qui provient de la déesse démoniaque Ishtar. Le défunt mari d’Esther,
m’a-t-elle dit, s’appelait pour sa part Mordecai, patronyme issu d’une divinité
infernale nommée Mardouk. Mais avant même que ces dieux de Babylone existent,
il y eut Noé, et c’est de son fils Sem que nous descendons, Esther comme moi.
Nous sommes donc elle et moi des Sémites, et ce n’est que plus tard que nos
religions nous ont séparés. Encore qu’à y regarder de plus près ces différences
ne soient pas si grandes. Juifs comme musulmans, nous évitons certains
aliments, scellons nos fils dans la foi par la même opération qu’est la
circoncision, croyons les uns comme les autres aux anges du ciel et vouons une
détestation commune à un même adversaire, que nous l’appelions Satan ou
Shaitan. Nous révérons la même cité sainte : Jérusalem. Du reste, peut-être
ne le saviez-vous pas, c’est à l’origine vers Jérusalem, et non vers La Mecque,
que le Prophète – et que toujours la paix et la bénédiction soient sur lui –
avait enjoint les croyants de se tourner lors de leurs dévotions. La langue
anciennement parlée par les juifs et celle qu’employait le Prophète – que la
paix et la bénédiction soient encore sur lui – n’étaient pas si dissemblables
que cela, et...
    — ... Et juifs comme musulmans ont encore en
commun, je crois, d’avoir la langue bien pendue, fit remarquer mon père, acide.
Venez, Marco et Matteo. Allons présenter nos respects à l’hôtesse. Toi, Narine,
finis de décharger les chameaux et donne-leur à manger.
    La veuve Esther était une petite femme aux cheveux
blancs et au visage doux qui nous souhaita la bienvenue de façon aussi
courtoise que si nous n’avions pas été chrétiens. Elle insista

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