Les voyages interdits
observer que nous
exploitâmes tous cette opportunité pour nous séparer franchement, nous écarter
les uns des autres lors de notre repos sous les ombrages et que, plus tard, le
soir venu, nous ménageâmes volontairement une distance notable entre chacune de
nos tentes individuelles. Nous ne nous étions absolument pas disputé et
n’avions aucune raison bien définie de nous fuir les uns les autres, mais
c’était ainsi : nous étions depuis si longtemps ensemble qu’il
était plaisant, à présent que nous le pouvions, de retrouver la part d’intimité
qui nous avait manqué. J’aurais dû garder un œil vigilant sur Aziz, mais
l’esclave Narine était à cette époque encore si occupé à supporter sa honteuse
infection que je le jugeai incapable d’aller molester l’enfant. C’est pourquoi
je lui laissai tout loisir de jouir de sa solitude.
C’était du moins ce que je me figurais. Mais après
nous être abandonnés avec délices aux commodités de l’oasis durant un jour et
une nuit, je me mis en tête, au cours de la seconde soirée, de faire une petite
marche dans les fourrés alentour. Je me plus à m’imaginer dans un jardin moins
étroit, situé, pourquoi pas, dans les environs de Bagdad, où je m’étais si
souvent promené avec la princesse Phalène. Cette illusion n’était pas trop
difficile à mettre en scène, car la nuit avait tout enveloppé d’un obscur
brouillard sec qui limitait la vue aux arbres immédiatement voisins. Même les
sons étaient assourdis par cette nébulosité, aussi est-ce presque au moment de
marcher sur Aziz que j’entendis résonner son rire si musical et qu’il
dit :
— Mal ? Mais ça ne me fait pas mal, à moi.
Faisons-le.
Une voix plus profonde lui répondit, mais dans un
murmure, de sorte que je ne pus en distinguer les mots. J’étais sur le point
d’éclater de fureur, de saisir Narine et de le traîner à l’écart du garçon,
mais Aziz reprit à cet instant la parole, sur un ton d’émerveillement :
— Je n’en avais encore jamais vu de pareil. Avec
ce capuchon de peau qui le recouvre...
Je restai pétrifié sur place, interdit.
— ... et que l’on peut remonter à loisir. (Aziz
semblait éperdu d’admiration.) En fait, c’est comme si tu avais un petit mihrab personnel qui enveloppe tendrement ton zab !
Narine n’était nullement équipé de ce genre de chose.
En tant que musulman, il était circoncis, comme l’enfant. J’entamai un
mouvement de recul par rapport à l’endroit où je me trouvai, soucieux de
n’émettre aucun bruit.
— Cela doit te procurer une merveilleuse
sensation, même sans avoir de partenaire, poursuivait la petite voix d’oiseau, quand
tu remues l’étui de l’avant vers l’arrière, comme ça... Puis-je te le faire,
maintenant ?
Le brouillard enveloppa ses paroles tandis que je
battais en retraite. Mais je décidai d’attendre son retour à la tente. Il
arriva tel un rayon de lune perçant l’obscurité, radieux et entièrement nu, ses
vêtements à la main.
— Eh bien, c’est du joli ! lâchai-je
durement, en prenant soin de contenir ma voix. J’avais juré mes grands dieux
qu’il ne te serait fait aucun mal, et...
— Mais personne ne m’en a fait, Mirza Marco,
fit-il en battant des cils, l’image même de l’innocence.
— Et tu avais juré sur la barbe du Prophète de ne
tenter aucun de nous...
— Jamais je ne l’ai fait, Mirza Marco,
répliqua-t-il d’un air blessé. J’étais entièrement vêtu quand lui et moi nous
sommes rencontrés par hasard, dans ce bosquet, là-bas.
— Et tu avais juré de rester chaste !
— Mais je le suis resté, Mirza Marco, depuis
Kachan et tout le long du trajet. Nul ne m’a pénétré, pas plus que l’inverse,
d’ailleurs. Tout ce que nous avons fait, c’est nous embrasser. (Il s’avança et
m’embrassa doucement.) Et ça, aussi... (Comme pour mieux me montrer, il glissa
son petit membre au creux de ma main.) Voilà, on se l’est fait l’un à
l’autre...
— Il suffit ! criai-je d’une voix enrouée.
(Je me dégageai de lui et repoussai sa main.) Va-t-en dormir, à présent, Aziz.
Demain, nous partons à l’aube.
Je ne pus de mon côté trouver le sommeil, cette
nuit-là, avant d’avoir pris conscience de l’excitation qu’avait fait naître
Aziz en moi et m’en être manuellement libéré. Mais mon insomnie tenait aussi en
grande partie à ce que je venais de découvrir de mon oncle, à la
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