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Les voyages interdits

Les voyages interdits

Titel: Les voyages interdits Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gary Jennings
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toi.
    — Et tu veux que je rentre à poil, avec mon
dirham ? Qu’est-ce que c’est que cette maudite maison de fous ?
Pourquoi as-tu fait cramer mes habits ?
    — Toi attendre. Regarde !
    Elle saisit dans le brasero un morceau de charbon de
bois non brûlé et traça sur sa manche une longue marque noirâtre. Puis elle
tendit le bras et maintint un instant sa manche juste au-dessus des flammes.
    — Mais... tu es cinglée !
    Pourtant, aussi incroyable que cela pût paraître, le
vêtement ne brûla pas. La jeune fille ôta sa manche des flammes et me fit
constater qu’elle était redevenue propre et immaculée, m’abreuvant aussitôt
d’un mélange pressé de pashtoun et de farsi de cuisine, duquel émergea peu à
peu pour moi le sens de tout ceci.
    Ce lourd et mystérieux tissu se nettoyait toujours de
cette façon, et mes vêtements étaient si englués de crasse qu’elle les avait
crus de la même matière.
    — D’accord ! fis-je enfin. Je te pardonne,
ne t’inquiète pas. Je comprends bien que tu ne l’as pas fait exprès. Mais, du
coup, je n’ai plus rien à me mettre ! Que va-t-on faire ?
    Elle m’expliqua qu’il y avait deux solutions. Ou bien
je déposais plainte auprès du tenancier et je lui réclamais une nouvelle tenue,
ce qui lui coûterait, à elle, ses gages de la journée entière et sans doute une
bonne bastonnade, ou bien je me contentais de revêtir les seuls habits qu’elle
avait sous la main – les siens – et je repartais me promener dans Balkh dans
cet accoutrement féminin. Vous parlez d’un choix ! Mais je me devais
d’agir en gentilhomme et, pour cela, de me déguiser en femme.
    Je sortis précipitamment de la boutique, mais j’étais
en train de rajuster mon tchador quand le gebr, levant le regard sur moi
de derrière son comptoir, clama :
    — Ma parole, mais vous m’avez pris au
sérieux ! Vous tenez vraiment à me montrer une belle fille au milieu des
rustiques créatures du coin, c’est cela ?
    Je le rembarrai à l’aide d’une des rares expressions
de pashtoun que je connaissais : «  Bahi chut ! » ,
directive l’enjoignant assez crûment d’aller s’occuper de sa sœur.
    Il s’esclaffa et ajouta, avant que je me faufile
au-dehors dans la neige qui tombait toujours :
    — Dame, ce serait avec grand plaisir, si elle
était aussi belle que toi !
    Bien que j’eusse à deux ou trois reprises trébuché, ma
vision du sol étant sérieusement entamée par le port du tchador et l’opacité de
la neige, sans compter les fois où je marchai sur l’ourlet de ma robe, je
parvins à rentrer au caravansérail sans incident majeur. Je le regrettai
presque, car j’avais parcouru tout le trajet dents et poings serrés, le sang
bouillonnant dans mes veines, dans l’espoir qu’un gros balourd de pêcheur de
filles d’Eve m’adressât grossièrement la parole ou me fît un clin d’œil salace,
et que je puisse le tuer. Je me glissai dans l’auberge par la porte de
derrière, sans être vu, et me dépêchai de revêtir des vêtements bien à moi,
tandis que je me débarrassais de ceux de la jeune fille. Puis, après réflexion,
je découpai un morceau dans sa robe afin de le garder comme curiosité. Depuis,
cet échantillon m’a servi à épater un grand nombre de gens a priori peu
enclins à croire qu’un tissu pût résister au feu.
    En y repensant, j’avais effectivement ouï dire, au
temps où j’étais encore à Venise, qu’une telle matière existait. J’avais
entendu des prêtres raconter que le pape de Rome conservait, au milieu des
reliques les plus précieuses de l’Église, un sudarium, tissu censé avoir
été utilisé pour éponger le saint front de Jésus-Christ. Ledit linge avait été
sanctifié par ce geste, affirmaient-ils, de sorte qu’il en était devenu
indestructible. Il pouvait être jeté au feu et laissé là autant qu’on le
voulait, on pouvait ensuite l’y récupérer intact et miraculeusement préservé.
Un distingué médecin avait cependant contesté cette déclaration des prêtres
selon laquelle la sainte sueur avait suffi à rendre le linge résistant à toute
destruction. Pour sa part, il affirmait que le tissu devait avoir été fabriqué
en peau de salamandre, créature qu’Aristote prétendait capable de vivre
confortablement au milieu des flammes.
    Je suis en mesure de contredire respectueusement et
les révérends croyants et le pragmatique aristotélicien. Car j’ai pris la peine
d’enquêter

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