Les voyages interdits
féminine. Mais il ne vint pas, lui non plus, et je me pris à
regretter d’avoir payé d’avance pour une longue séance. Quels que fussent les
cris et les appels qu’il pourrait entendre provenant d’ici, il penserait qu’il
s’agissait d’une étreinte un peu tumultueuse et n’interférerait pas.
Durant un long moment, je restai donc là, couché sur
le dos dans une désespérante immuabilité des éléments, hormis la chaleur
grandissante, ma sueur de plus en plus abondante et cette envie d’uriner qui se
muait à présent en un besoin tout aussi pressant de déféquer. Peut-être le
petit animal niché au fond de mes entrailles était-il en train de presser de
tout son poids sur ma vessie et mes intestins ? C’était en tout cas devenu
intolérable, à présent. Je devais me retenir de toutes mes forces pour ne pas
me laisser aller, mais bien que ce fut difficile, je résistais, dans ma crainte
de maculer mon entrejambe et le lit tout entier. Quand soudain, comme si une
porte venait d’être ouverte aux neiges fondantes du dehors, je fus heurté par
un froid brutal. La pellicule de sueur qui couvrait mon corps gela, et je me
mis à trembler de tous mes membres, claquant des dents, tandis que toute ma
peau se hérissait de chair de poule et que les pointes de mes seins se
dressaient telles des sentinelles. Je n’avais rien pour me couvrir. Si mes
habits se trouvaient par terre, je ne pouvais les voir, ni encore moins les
atteindre, et j’avais trop peur de me relever pour les chercher. Et puis,
brusquement, mon impression de froid s’évanouit : la pièce redevint
lourde, oppressante, ma sueur se liquéfia, et je haletai, cherchant de l’air.
N’ayant rien de mieux à méditer, je tentai de faire l’inventaire
de mes sensations. Elles étaient nombreuses et variées. Il y avait une part
d’excitation intellectuelle : le philtre fonctionnait, au moins
partiellement. Une part d’attente et d’espoir, aussi : l’effet de cet
élixir n’était sans doute pas achevé, et ce qui pouvait encore se produire
restait intéressant. Mais le reste de mes émotions était plutôt désagréable.
J’étais tout sauf à l’aise : mes mains souffraient toujours de crampes, et
mon besoin de soulager mes intestins devenait extrême. Je ressentais du
dégoût : mon mihrab dégoulinait toujours d’un horrible pus
gélatineux. J’étais aussi indigné d’être prisonnier de cette situation
qu’apitoyé d’être seul à endurer ces souffrances. Je me sentais également un
peu coupable : j’aurais normalement dû me trouver au caravansérail et
aider mes compagnons à préparer nos bagages pour reprendre la piste, au lieu
d’être ici à satisfaire ma curiosité démoniaque. J’avais peur, ignorant ce que
pouvait encore me réserver le philtre, et me sentais gagné par l’appréhension,
ce qui se profilait pouvant être encore pire que ce que je vivais déjà.
Soudain, une sensation balaya toutes les autres et me
paralysa : une souffrance terrible, dévastatrice. Je sentis cette torture
déchirante me vriller tout le bas-ventre et eus presque l’impression de pouvoir
entendre son bruit, celui d’un vêtement trempé que l’on arrache. Sauf que je
n’entendais, en fait, que mon cri d’agonie. J’aurais voulu labourer de mes
mains ce ventre assassin, mais j’étais secoué de tant de douleur que je ne pus
que m’agripper aux deux bords de l’hindora oscillante pour ne pas
basculer et tomber.
Au cours d’un tel martyre, on tente instinctivement de
bouger, dans l’espoir fou qu’un mouvement l’apaisera. Le seul que je pus faire
fut de lever les jambes. Cette soudaine gymnastique rompit la résistance de mes
muscles intimes, et mon urine jaillit en un dégoulinement de chaleur,
ruisselant et m’inondant les fesses. Au lieu de s’apaiser, le supplice reprit
de plus belle, faisant alterner le chaud et le froid. Je tressautais chaque
fois qu’un nouvel accès de fièvre cédait la place à une morsure du froid qui
redevenait aussitôt brûlante. Dès que le rythme de ces impulsions commença à
s’espacer, me laissant trempé d’urine et de sueur, je demeurai ainsi étendu, tout
flasque, haletant comme si j’avais été cinglé au fouet, et dès que je pus
articuler, je hurlai : « Mais qu ’ est-ce qui
m’arrive ? »
C’est alors que je compris. Regarde : là, sur
cette paillasse, gît une femme, étendue sur le dos. Son corps a les formes et les
courbes normales d’un
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