Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les voyages interdits

Les voyages interdits

Titel: Les voyages interdits Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gary Jennings
Vom Netzwerk:
corps féminin, hormis l’effrayante dilatation de son
abdomen distendu. Elle repose allongée, jambes écartées de part et d’autre,
exposant un mihrab serré, comme engourdi de sa tension interne. Quelque
chose l’habite, l’a envahie et se tient là, tapi. C’est cette présence qui lui
enfle le ventre, et elle vit ! Elle la sent bouger, elle a ressenti ses
premières secousses d’impatience de sortir, et par où pourrait-elle surgir si
ce n’est par cet orifice, ce canal à la jointure de ses jambes ? Il s’agit
à l’évidence d’une femme au dernier stade de la grossesse et sur le point
d’accoucher.
    Très bien, très frais, cette vision calme et détachée.
Mais je n’en étais pas que le spectateur, j’en étais l’acteur. Cette
pitoyable créature qui se tordait doucement dans l’absurde posture d’une
grenouille retournée, c’était moi.
    Gèsu Maria Isèpo, pensai-je (relâchant l’une de mes mains du bord du lit pour me signer),
comment le philtre avait-il pu me dédoubler et placer l’un de ces deux êtres à
l’intérieur de l’autre ? Quel que soit l’être que je portais, allais-je
vraiment devoir le faire naître ? Combien de temps cela durerait-il ?
Que peut-on faire pour se faciliter la tâche ? En plus de ces pensées, je
laissais fuser des mots peu courtois à l’égard du hakim Mimbad, le
recommandant à l’enfer pour l’éternité. Ce n’était peut-être pas très sage de
ma part, car si j’avais vraiment besoin d’un médecin, c’était précisément
maintenant. Quand j’avais été mêlé au plus près à la problématique de la
naissance, c’était à Venise où, en une ou deux occasions, j’avais vu flotter
entre deux eaux le cadavre bleu pâle et pourpre d’un nouveau-né abandonné dans
le flot. Jamais je n’avais vu, par exemple, une chatte mettre au monde ses
chatons. Le petit monde savant des docks de Venise avait bien abordé la
question, sans doute, mais tout ce qui me restait en mémoire était l’expression
« douleur des contractions », et ces mots, hélas, sonnaient assez
clairement pour moi. Je savais aussi que nombre de femmes meurent en couches.
Et si je mourais dans ce corps ! Personne ne saurait qui j’étais, ni ne
viendrait me réclamer. Je serais enterré anonymement, fille mère tuée par son
propre bâtard...
    Mais j’avais d’autres soucis que le sort de mes peu
glorieux restes. Le mal, intact dans sa dureté, me tordit de nouveau, mais je
serrai les dents, refusai de crier et tentai même de prendre du recul pour
l’analyser. Il semblait venir des profondeurs de mon abdomen, vers le bas de ma
colonne vertébrale, pour se précipiter telle une vague sur l’avant. Je profitai
d’un bref répit pour prendre une goulée d’air, avant que la douleur ne revienne
à l’assaut. À chaque onde successive, bien qu’elles fussent toujours aussi
cruelles, j’encaissais un peu mieux le choc. Aussi tentai-je de mesurer la durée
des contractions et des rémissions qui survenaient entre elles. Je devais
compter doucement jusqu’à trente ou quarante avant que chaque crise s’apaise.
Mais lorsque j’entrepris d’estimer les intervalles de soulagement, je comptai
si fort que je m’y perdis.
    D’autres afflictions contribuaient à augmenter ma
confusion. D’une part, la température de la pièce (ou peut-être était-ce la
mienne) alternait toujours les pics de chaleur et les coups de froid. J’étais
donc, d’un instant à l’autre, rôti jusqu’à l’avachissement ou transi jusqu’à la
moelle. Mon ventre, outre les tourments qu’il m’occasionnait déjà, trouva le
moyen de me procurer des nausées. Je rotai à plusieurs reprises et dus lutter
pour ne pas vomir. Je continuais d’uriner de façon incontinente chaque fois que
la douleur frappait et n’empêchais mes intestins de se vider que par une
violente contraction de mes muscles. L’urine qui s’était répandue devait avoir
un effet acide, car l’intérieur de mes cuisses, mon pubis et mon derrière
étaient comme à vif, irrités et sensibles. Je souffrais à présent d’une soif
insensée, probablement parce que j’avais sué et pissé tous mes liquides
internes. Mes mains continuaient d’être la proie de spasmes, vu la peu commode
position à laquelle je les contraignais. Le contact même du lit irritait mon
dos. En définitive, j’avais mal presque partout, même à la bouche : elle
était ouverte dans un rictus si distordu que mes lèvres

Weitere Kostenlose Bücher