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Les voyages interdits

Les voyages interdits

Titel: Les voyages interdits Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gary Jennings
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cette particularité, mais tout simplement que
le reste de ses traits n’avait rien d’exceptionnel.
    Ce que je peux dire, c’est qu’Ilaria avait les cheveux
d’un auburn lumineux, mais il est vrai que c’est le cas de beaucoup de femmes à
Venise. Ce que je peux ajouter, c’est qu’elle avait les yeux si brillants
qu’ils semblaient allumés de l’intérieur, au lieu de ne réfléchir que la
lumière extérieure, dont elle semblait pouvoir se passer. Qu’elle avait la joue
faite pour attirer le creux de la paume d’une main. Qu’elle possédait ce que
j’ai toujours appelé un « nez de Vérone », parce qu’on en voit plus
dans cette ville que partout ailleurs : à la fois fin et affirmé, mais
harmonieux de proportions, comme pourrait l’être la proue élancée d’un bateau,
avec les yeux profondément enfoncés de part et d’autre.
    Je serais intarissable sur sa bouche. Ciselée de façon
exquise, elle promettait toute sa douceur aux lèvres qui viendraient s’y presser,
plus que cela, même. Lorsque Ilaria et le prêtre se relevèrent ensemble, après
leurs oraisons et une ultime génuflexion, elle esquissa vers lui une révérence
et lui murmura quelques mots d’une voix douce. Je ne sais plus exactement
lesquels, mais je suppose qu’ils devaient ressembler à : « Je vous
rejoindrai derrière la chapelle, mon père, après complies. »
    Son salut, en revanche, me frappa suffisamment pour
que je m’en souvienne : elle lui lança «  Ciao  », notre
façon à nous, Vénitiens, d’exprimer le mot schiavo, qui veut dire :
« votre esclave », et je trouvai que c’était une façon curieusement
familière, ma foi, de prendre congé d’un prêtre. Mais tout ce qui pour moi
compta alors, ce fut sa prononciation de cette phrase : « J-je vous
rej-joindrai derrière la ch-chapelle, mon père, après complies. C-ciao. » Chaque fois que, pour prononcer les sons ch ou j, elle avançait
légèrement les lèvres, un bégaiement fugace venait imperceptiblement prolonger
sa moue adorable : c’était tout simplement délicieux.
    Oubliant totalement que j’étais là pour faire
pénitence, je me mis en tête de la suivre lorsqu’elle quitta l’église. Il
n’était pas possible qu’elle fût même consciente de ma présence, et cependant,
la façon dont elle quitta San Marco avait de quoi décourager toute tentative de
poursuite. Se déplaçant plus lestement et adroitement que je n’aurais su le
faire même avec un sbiro à mes trousses, elle s’évanouit de ma vue, se
fondant parmi la foule qui grouillait devant l’église. Dérouté, j’arpentai de
long en large l’espace situé à l’entrée de la basilique et fis le tour des
arcades qui entourent la vaste place, en vain. Mystifié, j’entrepris de
traverser la place elle-même, fendant des nuages de pigeons, puis la piazzetta plus petite, de la tour du clocher au deux piliers du front de mer.
Désespéré, je revins vers la grande église, explorant chacune des chapelles et
jusqu’au baptistère. Chagriné, je gravis même les escaliers menant à la loggia,
celle qui abrite les chevaux dorés. Finalement, c’est le cœur meurtri que je
rentrai à la maison.
    Après une nuit tourmentée, je revins dès le petit jour
passer au peigne fin l’église et les environs. Je devais avoir l’air d’une âme
en peine en quête de consolation. Cette femme, elle, devait être un ange
vagabond qui ne se posait qu’une fois. Je ne la reverrais jamais. C’est sur
cette pensée fort mélancolique que je retrouvai mes amis des quais. Les garçons
m’accueillirent en me saluant chaleureusement, Doris ne me réservant pour sa
part qu’un coup d’œil de dédain. Voyant que je ne répondais que d’un soupir
déchirant, Ubaldo eut la sollicitude de me demander ce qui me faisait ainsi
souffrir. Je lui avouai que j’avais égaré mon cœur auprès d’une dame avant de
la perdre elle-même, et tous les enfants s’esclaffèrent, excepté Doris qui
sembla soudain remuée.
    — Ta tête me semble quelque peu divaguer, ces
jours derniers, dit Ubaldo. Aurais-tu l’intention d’être le coq de chaque poule
ici-bas, ou quoi ?
    — C’est une vraie femme, ce n’est pas une simple
fille, précisai-je. Et elle est bien trop sublime pour que je puisse penser à
elle comme à une...
    — À une chatte ! firent en écho plusieurs
garçons.
    — Ouais, c’est sûr que, de toute façon, fis-je
d’une voix traînante et ennuyée,

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