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Les voyages interdits

Les voyages interdits

Titel: Les voyages interdits Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gary Jennings
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question chatte, les femmes sont en effet
toutes les mêmes.
    Homme d’expérience, j’avais le respectable recul
d’avoir connu deux femmes nues.
    — Moi, je ne connais rien à tout ça, dit un
garçon, très dubitatif. Mais j’ai entendu un jour un marin qui avait pas mal
bourlingué, et il avait un truc pour reconnaître de façon infaillible une femme
exceptionnelle au lit.
    — Vas-y, raconte ! Dis-nous ! clama
unanimement le chœur des enfants.
    — Quand elle se tient debout et que ses jambes
sont jointes, on doit voir un triangle minuscule de jour entre ses cuisses et
son artichaut.
    — Elle a du jour, ta dame ? lança quelqu’un.
    — Je ne l’ai vue qu’une fois, et c’était dans une
église ! Tu n’imagines pas qu’elle y était nue, tout de même ?
    — Bon, et Margarita, elle a du jour, elle ?
    Je répondis, et quelques autres garçons avec moi, que
je n’avais pas pensé à regarder. Margarita pouffa sottement, et elle pouffa
derechef quand son frère ajouta :
    — Vous auriez rien pu voir, de toute façon, ses
fesses pendouillent par-derrière et son ventre par-devant.
    — Voyons voir ça sur Doris ! cria quelqu’un.
Holà, Doris, mets-toi debout les jambes serrées et soulève ta chemise.
    — Demandez plutôt ça à une vraie femme !
ricana Margarita, un brin méprisante. Celle-là ne saurait même pas s’il faut
pondre un œuf ou donner du lait.
    Mais au lieu de lui prodiguer une repartie cinglante,
comme je m’y attendais de sa part, Doris étouffa un sanglot et s’enfuit.
    Tous ces conciliabules étaient distrayants, voire
éducatifs, en un sens, mais ma préoccupation était toute différente. Je dis alors :
    — Si je parvenais à localiser ma dame et si je
vous la montrais, vous pourriez peut-être la suivre mieux que je n’ai su le
faire et me dire où elle habite.
    — No, grazie ! répondit Ubaldo, catégorique. Sans façon. Importuner
une dame bien née, c’est jouer avec le feu, et je n’ai pas envie de me
retrouver entre les piliers.
    Daniele claqua des doigts.
    — Nom de Dieu ! Ça me rappelle qu’il doit y
avoir cet après-midi une flagellation, justement, aux piliers. Un pauvre diable
qui a dû vouloir jouer avec le feu, comme tu dis, et a perdu. On pourrait
peut-être y aller faire un tour, non ?
    C’est ce que nous fîmes. Une flagellation, ou
frusta, est un châtiment public, et les piliers sont, comme je l’ai dit,
situés sur le front de mer, près de la piazzetta San Marco. L’une des
colonnes est dédiée à mon homonyme, l’autre à l’ancien saint patron de Venise,
Teodoro, appelé ici Todaro. Les châtiments publics ou les exécutions de
malandrins ont lieu à cet endroit, « entre Marco et Todaro », comme
on dit.
    Le plat de résistance du jour était un homme que nous,
garçons, connaissions tous, bien que nous ignorions son nom. Tout le monde
l’appelait Il Zudìo, ce qui peut signifier le juif ou l’usurier, la
plupart du temps les deux à la fois. Il résidait dans le petit bourg réservé
aux gens de sa confession, mais l’étroite échoppe où il changeait et prêtait de
l’argent était située sur la Merceria, sur laquelle nous nous livrions à la
majeure partie de nos chapardages, et nous l’avions vu, bien souvent, se faire
huer derrière son comptoir. Ses cheveux et sa barbe ressemblaient à une
moisissure rouge et bouclée tirant sur le gris ; il portait sur son
manteau long la pièce jaune et arrondie proclamant sa condition de juif, et son
chapeau rouge l’annonçait comme un juif de l’Ouest.
    Il y avait beaucoup de ses pareils, cet après-midi-là,
dans la foule des spectateurs, la plupart en chapeau rouge, mais certains
avaient autour de la tête ces bandeaux jaunes indiquant leur origine levantine.
Ils ne seraient sûrement pas venus de leur propre initiative voir fouetter et
humilier l’un de leurs camarades, mais l’une des lois de Venise faisait
obligation à tout juif adulte de sexe masculin d’assister aux fustigations.
Bien sûr, l’essentiel du public était constitué de non-juifs venus là juste pour
se détendre, et une proportion inhabituelle était composée ce jour-là de
femmes.
    Il Zudìo était
convaincu d’avoir commis un délit assez courant, en l’occurrence la perception d’un
intérêt abusif sur un prêt quelconque, mais la rumeur publique mêlait cela à
des intrigues plus corsées. On racontait un peu partout que, contrairement aux
prêteurs sur gages chrétiens

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