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Les voyages interdits

Les voyages interdits

Titel: Les voyages interdits Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gary Jennings
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qui ont pour monnaie d’échange usuelle des
diamants ou de la vaisselle en métal précieux, lui acceptait de vous prêter du
bel argent sonnant et trébuchant contre du simple papier, pourvu que ce soient
des lettres d’une nature indiscrète ou compromettante. Comme beaucoup de femmes
à Venise employaient des scribes pour écrire à leur place ce genre de
littérature ou pour leur lire celle qu’elles recevaient, peut-être certaines
avaient-elles décidé de spéculer sur telle ou telle pièce compromettante de
leur correspondance qu’il pouvait détenir. À moins que, comme les femmes le
font souvent, elles n’aient tout simplement désiré voir fouetter un homme.
    L’usurier était escorté vers le lieu de la sentence
par quelques gardes gastaldi en uniforme et par son consolateur attitré,
un membre de la Fraternité des moines convers de la Justice. Le frère, afin que
son anonymat fut préservé dans cette tâche dégradante qui consistait à assister
un juif, était entièrement couvert d’un habit sacerdotal qui le dérobait à la
vue et portait une capuche avec juste deux trous percés pour les yeux. Un preco
de la Quarantia [7] , debout à l’endroit où j’étais monté la veille, dominant largement la foule
sur la loggia aux quatre chevaux de San Marco, lut d’une voix
retentissante :
    — Attendu que le prisonnier Mordecai Cartafilo
s’est comporté de façon bien cruelle, agissant contre la paix de l’Etat, contre
l’honneur de la République et la vertu de ses citoyens... il a été condamné à
endurer ici treize vigoureux coups de fouet, après quoi il se verra confiné
dans un puits de la prison du palais, pendant que les Signori délia Notte [8] diligenteront sur ses crimes une enquête plus fouillée...
    Le condamné, à qui la loi permettait d’émettre toute
protestation qu’il jugerait utile au sujet de ce jugement, se contenta de
gronder de façon assez insolente :
    — Nè tibi nè catabi [9] .
    Le scélérat avait beau, avant de tâter de la rigueur
du fouet, affecter de hausser les épaules avec détachement, il changea
d’attitude dans les minutes qui suivirent. Il émit d’abord un grognement, puis
ce fut un cri qui lui échappa, après quoi il se mit à hurler à la mort. Alors
que mon regard parcourait la foule des spectateurs (les chrétiens hochant la
tête d’un air approbateur, les juifs tentant de regarder ailleurs), mes yeux
s’arrêtèrent net sur un certain visage et s’y fixèrent farouchement. Je résolus
dès lors de me couler de côté à travers la masse, afin de m’approcher de ma
dame perdue et providentiellement retrouvée.
    Au même moment me parvint de l’arrière un nouveau
hurlement, et j’entendis la voix d’Ubaldo qui remarquait :
    — Eh bien, Marco, tu n’es pas très attentif à la
musique de la synagogue, dis-moi !
    Mais je n’eus garde de me retourner. Cette fois, je ne
voulais pas laisser à la femme la moindre chance de disparaître de mon champ de
vision. Elle était de nouveau sans voile, ce qui est bien sûr plus commode pour
assister à une flagellation, et mes yeux se repaissaient une nouvelle fois de
sa beauté sans égale. Alors que je me rapprochais d’elle, je vis qu’elle se
tenait debout à côté d’un homme de haute taille enveloppé d’un manteau, la tête
recouverte d’une capuche de façon presque aussi discrète que le frère
consolateur de la Fraternité de la Justice présent sur le lieu du supplice. Dès
que je fus parvenu à me glisser tout près d’eux, je l’entendis murmurer à ma
dame :
    — C’est donc toi qui as dénoncé cet homme à
l’informateur.
    — Le j-juif le méritait, fit-elle, sa délicieuse
moue perdurant un bref instant sur ses lèvres.
    — Un poulet, lâché devant un tribunal de
renards..., laissa-t-il fuser, marmottant entre ses dents.
    Elle ne parut pas s’en offusquer, émettant juste un
petit rire discret.
    — Auriez-vous préféré que je laisse le poulet
aller s’épancher dans un confessionnal, mon père ?
    Ma dame était-elle si jeune qu’elle dût s’adresser à
tout homme comme à un père ? Un simple coup d’œil jeté par en dessous,
comme me le permettait ma taille, me suffit à reconnaître en son interlocuteur
le prêtre aperçu la veille à San Marco. Je ne manquai pas de me demander, bien
sûr, pourquoi il cachait ainsi ses vêtements sacerdotaux, mais les quelques
bribes décousues de leur conversation qui me parvinrent ne suffirent pas à

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