L’ESPION DU PAPE
compte qu’elle dénude sa patiente sous les yeux de Touvenel, elle le repousse de la chambre.
— Tout ceci reste une affaire de femmes. Je suis désolée, mais vous n’avez pas votre place ici.
Avant de refermer la porte sur lui, elle le considère d’un air ironique et lui lance par l’entrebâillement :
— Garderez-vous toujours ce costume et cette croix ? Sa réputation n’est pas des meilleures dans le pays !
La confusion qu’elle lit sur le visage de Touvenel la décontenance.
— Je sais tout cela, madame. Mais, voyez-vous, je n’ai rien d’autre à me mettre.
C’est à elle de se trouver dans l’embarras. Elle reste un moment silencieuse, puis lui sourit.
— Nous y remédierons plus tard. Pour l’instant, je retourne auprès de votre malade.
Au milieu de l’atelier des Paunac, encombré de rouleaux de tissus, de draps, de cuirs et de fourrures, Touvenel ne sait comment se tenir pour ne pas se sentir ridicule face aux deux jeunes femmes qui évaluent les reprises et les pinces à faire sur sa nouvelle tenue. Embarrassé, il leur fait remarquer qu’il aime se sentir à l’aise dans un habit, à cause du port de son épée. L’une d’elles s’en amuse.
— On ne porte pas un tel vêtement pour guerroyer, monsieur, mais pour plaire.
— Plaire ! Plaire à qui ? s’exclame-t-il.
— À moi, pour commencer, plaisante Constance en entrant dans la pièce.
Les deux couturières pouffent de la gêne de Touvenel. Constance fait mine de ne pas le remarquer et s’approche du chevalier en l’examinant de haut en bas, puis en tournant lentement autour de lui.
— Ne trouvez-vous pas ces broderies un peu trop riches pour mon état ? risque-t-il, en se tournant lui-même pour la suivre des yeux.
Constance s’arrête et semble au contraire très satisfaite de l’ample tunique de drap brodé de fils d’argent et doublée de lin bleu qu’elle vient de lui faire essayer.
— C’est ce que portent aujourd’hui à Narbonne les hommes de votre condition. Votre longue absence vous a fait perdre la notion de la mode.
Glissant sa main entre la ceinture qui enserre sa tunique et sa taille, elle la déboucle.
— Si vous désirez rester à l’aise, il vous faut mettre un cran de moins. Quitte à vous nourrir un peu mieux, pour remplir ce ventre creux.
Se reculant, elle prend son temps pour juger de l’effet de sa retouche, puis conclut :
— Comme ça, c’est bien. Vous semblerez moins engoncé dans votre respectabilité, ironise-t-elle.
Touvenel ne sait que répondre. Les deux jeunes couturières pouffent de nouveau. Cette fois, Constance les reprend :
— Au lieu de ricaner comme deux petites sottes, allez plutôt dans la réserve et trouvez à monsieur un autre habit, qui lui sera plus commode pour chevaucher. Cherchez-le dans des teintes neutres, des bruns ou des noirs, et débrouillez-vous pour lui avoir fait un premier ajustage avant le souper. Je veux pouvoir en juger.
Puis, se tournant vers Touvenel :
— J’ai oublié de vous dire que je compte sur vous à notre table, messire. Nous souperons à la septième heure. Pour l’instant, je vous laisse. Je retourne au chevet de votre fille, lance-t-elle en sortant de l’atelier sans attendre de réponse.
— Votre tenue de croisé, monseigneur, faut-il la repriser et la ranger ? demande une couturière en désignant sur un tréteau le vieux bliaud et la cape à la croix pourpre.
Touvenel hésite, comme si cette défroque pouvait encore lui servir. Il se tourne vers les deux jeunes femmes qui l’observent d’un air légèrement moqueur. D’un seul coup, le visage blême, les mâchoires crispées, il se saisit de ses vieux vêtements, les roule en boule et les jette rageusement sur les tisons de la grande cheminée. Le rouge des braises se communique lentement à la croix pourpre des croisés. Apercevant un bouffagou posé contre les chenets, il s’en saisit et souffle dedans comme un démon furieux pour attiser le feu et accélérer la disparition de ses loques.
Avant de se mettre à table, Constance a apporté quelques retouches au deuxième costume que ses couturières ont trouvé pour Touvenel, et lui a donné des nouvelles rassurantes de Yasmina. Le cataplasme a calmé la toux et les tremblements de la jeune femme, mais elle devra la garder alitée chez elle pendant quelques jours encore, pour surveiller son rétablissement.
— Vous pouvez coucher ici, tant que votre fille y sera. La
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