L’ESPION DU PAPE
de reproche.
— Tu pourrais au moins t’y préparer comme je le fais.
Elle affecte un air désolé.
— Certes, petit frère, mais, pour le moment, je préfère toujours la viande au poisson.
Et, se saisissant d’une cruche remplie de vin près d’elle, elle sert le verre de son hôte, puis le sien.
— Ce vin provient des vignes de notre famille et j’en suis très fière. Nous en produisons une vingtaine de tonnelets par an et j’en garde trois pour mon usage. Je le bois pur, sans le couper d’eau. Essayez donc, vous aussi. Le mieux est de le goûter lentement, comme moi, pour en bien saisir l’arôme.
— Amaury ne nous accompagnera pas, déclare-t-elle en reprenant un air désolé, car il est, comme il vient de vous le dire, beaucoup plus avancé que moi dans la « vraie » religion.
Amaury ne semble pas apprécier l’ironie de sa sœur et hausse les épaules. Touvenel et Constance échangent un regard amusé et vident leurs verres lentement, sans se quitter des yeux. Touvenel repose le sien et détourne le regard, soudain gêné par cette complicité. Il se remet à manger son chapon, puis rompt le silence qui s’était de nouveau installé.
— Votre père ne dîne pas ?
— Il ne vit plus avec nous. Il s’est retiré avec d’autres « bons hommes » dans un castrum, à deux lieues d’ici. Mais il passe souvent nous voir, quand il n’est pas sur les routes à porter la parole.
De retour dans la pièce, la servante dépose sur la table un plat de desserts exotiques. Touvenel s’en étonne.
— Des dattes et des pistaches ! Je n’en ai plus goûté depuis la Terre sainte.
— Je me doutais que cela vous ferait plaisir. Il nous en arrive régulièrement à Narbonne.
Chacun se sert et savoure sans un mot les sucreries.
— J’en servirai à votre fille, dès qu’elle sera en état de manger. Cela lui rappellera son pays.
Amaury essuie soudain son couteau contre une tranche de pain.
— Pardonnez-moi, mais il faut que je parte, si je veux arriver au magasin avant la nuit noire.
Il se lève de son banc et range soigneusement son couteau dans l’étui de cuir accroché à sa ceinture.
— Peux-tu vérifier avec moi ce que j’emporte, Constance ?
La jeune femme le suit. Touvenel l’imite aussitôt.
— Je vais vous aider.
— Ce n’est pas de refus, monseigneur, dit Amaury. Nous ne serons pas trop de trois hommes, avec mon commis.
Touvenel les accompagne dans un entrepôt, où il leur donne la main pour charger les rouleaux de tissus, de draps, et les ballots de vêtements que le jeune homme doit livrer à leur magasin de Narbonne. Puis Amaury sort la charrette attelée de deux chevaux et s’installe à l’avant avec son commis.
— Évite la forêt d’Alaric, lui recommande Constance en l’embrassant. On y rançonne sans pitié.
— Mais non ! la rassure son frère. Et, si cela était, j’ai de quoi répondre.
Il lui désigne à ses pieds une masse, une épée à la lame rouillée, trois dagues et une paire de longs ciseaux.
— Tu crois vraiment pouvoir inquiéter des routiers avec cet attirail ?
Comme Amaury ne l’écoute déjà plus, elle lui répète, agacée :
— Je te demande d’éviter la forêt d’Alaric. Mieux vaut que tu perdes une demi-heure, mais que tu passes par le vallon.
Le jeune homme fouette ses chevaux sans répondre. Constance, inquiète, le regarde s’éloigner dans le soir. Elle confie à Touvenel :
— Toujours à vouloir prouver qu’il est un homme, il m’inquiète !
Le chevalier sourit sans répondre. Ils restent un moment silencieux, tout près l’un de l’autre, si près qu’ils peuvent sentir leurs souffles se mêler. Constance frissonne.
— Nous devrions rentrer dans la maison, dit-elle soudain en posant une main sur le bras de Touvenel. Je dois m’occuper de votre chambre.
— Voilà qui fleurera bon !
Elle se redresse et se retourne face au chevalier, après avoir glissé un petit bouquet de lavande sous l’oreiller de lin garni de paille hachée. Pendant tout le temps qu’elle a mis à préparer le grand lit à courtines et à baldaquin d’une des chambres de la maison, il l’a regardée faire sans dire un mot. Elle a tiré les épais rideaux de laine écrue et les a noués sur les montants du lit avant de déplier sur le matelas de plumes deux beaux draps de lin bleu et une couverture de laine blanche.
— Aurez-vous besoin d’autre chose, pour la nuit ?
Aux lueurs des
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