L’ESPION DU PAPE
chandelles disposées sur le coffre au pied du lit, il distingue dans ses prunelles gris-vert une étincelle rieuse.
— Non, fait-il en s’inclinant légèrement, pour la remercier.
— Demain, je vous demanderai d’aller cueillir du thym dans la garrigue. J’en manque, pour préparer d’autres décoctions à votre fille. C’est une herbe très puissante pour soigner les fièvres.
Le chevalier acquiesce d’un signe de tête. Ils restent encore un moment face à face, puis elle se décide à sortir de la pièce et passe à côté de lui. Elle l’effleure. Touvenel ose un mouvement et frôle d’une main enveloppante la hanche ronde que moule la cotte de toile légère. Elle se retourne avec un sourire. Touvenel la saisit par la taille et la plaque contre lui. Elle se laisse faire, d’abord sans réagir, puis, fermant les yeux dans un consentement muet, passe ses bras autour de son cou et répond à son étreinte. Il la soulève de terre et la porte jusqu’au lit.
— Laisse-moi t’enlever tes beaux habits, murmure-t-elle, en lui défaisant son surcot. Tu as dit que tu aimais être libre de tes mouvements.
— Et toi, laisse-moi goûter de ton parfum, lui chuchote-t-il à l’oreille avant de laisser courir ses lèvres sur sa peau.
D’une voix douce, en caressant ses épaules, elle se met à chantonner :
Si mon Sieur me veut son amour donner
Je suis toute prête à recevoir et rendre grâces
À tout dire et faire à son plaisir
Toute la Joie du Monde est à nous
Ô mon Sieur, si nous nous aimons
Nouant ses jambes autour de lui, elle ajoute dans un soupir de plaisir :
Beau, doux ami, baisons-nous, moi et vous
À la lumière jaunâtre de la chandelle qui répand sa faible lueur à travers la vaste pièce et les environne de douceur, Touvenel retrouve, entre ses bras, un sentiment de confiance en lui qu’il avait perdu depuis longtemps. À l’odeur nocturne de son long corps si doux, au goût savoureux de sa bouche, à ses caresses, un heureux bien-être l’envahit. Leurs haleines, leurs salives, les pulsations de leurs sangs se mêlent. Les ébranlements de leurs cœurs accolés les secouent sourdement, au même rythme. « L’amour peut donc être si rassurant. J’en avais oublié le goût, songe-t-il. Seigneur, voici peut-être enfin venu pour moi le temps d’oublier la mort ! » Un sang nouveau circule dans son corps. Le feu coulant du désir l’embrase. Toutes les digues qui contenaient les réserves de son tempérament cèdent sous les flots tumultueux de la jeune femme. Aux dernières lueurs de la dernière des chandelles qui éclaire leurs corps, leur plaisir redouble encore d’intensité. L’extase les renverse. Ils retombent l’un sur l’autre, épuisés.
Mais une déception attend Touvenel, car, à peine a-t-elle retrouvé son souffle que Constance se dégage de lui. Il essaie de la retenir, elle le repousse et sort du lit. Il la voit ramasser sa robe tombée sur le carrelage et en masquer sa nudité lorsqu’elle sent son regard appuyé sur elle.
— Que fais-tu ? s’étonne-t-il, en lui tendant une main qu’elle effleure d’un baiser, mais dont elle refuse la prise.
— Je te quitte, tu le vois bien.
— Je t’ai déplu ?
— Aucunement, monsieur le croisé ! Mais je ne peux dormir que seule. Tu m’emmèneras dans tes rêves, ajoute-t-elle en ôtant sa robe de devant elle pour lui découvrir son corps encore une fois. Je serai ainsi avec toi et sans toi.
Il serre ses bras autour de sa taille avec l’espoir de la retenir. Il embrasse son ventre. Elle le repousse doucement.
— Laisse-moi, maintenant. Tu m’en as assez donné tout à l’heure.
— Ne dormais-tu pas avec ton mari ? Est-ce parce que nous ne sommes pas mari et femme ?
Constance enfile sa robe pour sortir, sans doute de crainte de croiser quelque servante dans les couloirs de la maison. Elle lui sourit.
— Je dormais avec lui parce que je n’avais pas encore goûté à autre chose. Cet « autre chose », je veux le protéger.
Et elle lui cite un vers d’une chanson qu’il ne connaît pas :
Tant que désir durera
Beaux seront les jours
Et célestes les nuits
Elle s’approche, prend son visage entre ses mains et dépose un long baiser sur ses lèvres. Il ferme les yeux et le savoure. Mais, quand il veut le lui rendre et qu’il les rouvre, la chandelle éteinte, il ne trouve que l’obscurité. La porte de la chambre vient de claquer. Elle a disparu !
13.
Ah !
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