L'Espion - Un épisode de la guerre d'indépendance
en s’échappant de sa main tremblante, était tombée sur une table, et il étudia de nouveau avec une vive attention les caractères des trois mots qui y avaient été ajoutés. Quelques idées extraordinaires semblaient égarer son imagination ; il se passa la main sur le front : tous les yeux étaient fixés sur lui dans l’attente la plus cruelle ; tous les cœurs craignaient de s’ouvrir de nouveau à l’espérance, après l’avoir vu bannie si cruellement.
– Que vous dit-il ? Que vous promit-il ? demanda Dunwoodie avec une impatience fiévreuse.
– Il dit à Henry de s’adresser à lui s’il se trouvait en danger, et lui promit de s’acquitter envers le fils de l’hospitalité qu’il avait reçue du père.
– Et en parlant ainsi, il savait que Henry était un officier anglais ?
– Bien certainement, et c’était le danger dont il parlait.
– En ce cas, s’écria Dunwoodie en se livrant aux transports de la joie, vous êtes sauvés ! je le sauverai ; non, Harper n’oubliera pas sa promesse.
– Mais a-t-il assez de crédit, demanda Frances, pour faire changer de résolution l’inflexible Washington ?
– Assez de crédit ! s’écria le major avec une émotion irrésistible ; Greene, Heath, le jeune Hamilton ne sont rien, comparés à Harper. Mais, ajouta-t-il en s’approchant de Frances et en lui serrant les mains avec une sorte de convulsion, répétez-le-moi encore : vous a-t-il fait une promesse formelle ?
– Une promesse solennelle, Dunwoodie, et faite en toute connaissance de cause.
– Tranquillisez-vous donc, dit le major en la pressant un instant contre son cœur ; je pars, et Henry est sauvé.
Il se précipita hors de la chambre sans entrer dans aucune autre explication, laissant toute la famille plongée dans le plus grand étonnement, et bientôt on entendit le bruit de son cheval, qui s’éloignait au grand galop.
Après ce brusque départ, les amis inquiets que le major venait de quitter passèrent assez longtemps à discuter la probabilité du succès qu’il espérait. Son ton de confiance avait fait renaître quelque espoir dans le cœur de ses auditeurs. Henri était le seul qui restât étranger à ce sentiment : sa situation était trop terrible pour l’admettre, et pendant quelques heures il fut condamné à éprouver combien l’incertitude de l’attente est plus pénible à supporter que l’assurance même du malheur. Il n’en était pas de même de Frances. Avec toute la confiance de l’affection, elle jouissait d’une sécurité inspirée par le ton d’assurance de Dunwoodie ; elle ne se livrait pas à des doutes dont elle n’aurait eu aucun moyen de sortir ; elle croyait son amant en état d’accomplir tout ce qui était possible à la puissance de l’homme, et, conservant un vif souvenir des manières de M. Harper et de la bienveillance qu’il lui avait montrée, elle se livrait tout le bonheur de l’espoir rentré dans son cœur.
La joie de miss Peyton était moins expressive ; elle reprocha même plusieurs fois à sa nièce de trop se livrer à la sienne avant d’être certaine que leur attente ne serait pas trompée. Mais le léger sourire qui se peignait involontairement sur les lèvres de la bonne tante annonçait qu’elle partageait elle-même le sentiment qu’elle cherchait à modérer.
– Quoi ! ma chère tante, répondit Frances avec enjouement à une de ses fréquentes remontrances, voudriez-vous que je réprimasse le plaisir que j’éprouve en songeant que Henry est sauvé, quand vous-même vous m’avez dit si souvent qu’il était impossible que des hommes tels que ceux qui gouvernent notre pays sacrifiassent un innocent ?
– Oui, je le croyais et je le crois encore impossible, mon enfant ; mais cependant il faut de la modération dans la joie aussi bien que dans le chagrin.
Frances se rappela : ce qu’Isabelle lui avait dit en mourant, et tournant vers sa tante des yeux remplis des larmes de la reconnaissance, elle lui répondit :
– Vous avez raison, ma tante ; mais il y a des sentiments qui refusent de céder à la raison. Ah ! voyez ces monstres qui sont venus pour être témoins de la mort d’un de leurs semblables ! ils font des évolutions dans ce champ, comme si cette vie n’était pour eux qu’une sorte de parade militaire.
– La vie n’est guère autre chose pour le soldat soudoyé, dit Henry cherchant à oublier ses inquiétudes.
– Vous les regardez
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