L'Espion - Un épisode de la guerre d'indépendance
vous-même, ma chère, comme si vous pensiez qu’une parade militaire a quelque chose de bien important, dit miss Peyton en remarquant que sa nièce regardait par la fenêtre avec une vive et profonde attention. Mais Frances ne lui répondit pas.
De la fenêtre devant laquelle elle était placée, elle voyait le défilé qu’elle avait suivi la veille en traversant les montagnes, et celle sur le sommet de laquelle elle avait vu la chaumière mystérieuse était précisément en face d’elle. Les flancs en étaient arides, rocailleux, et des barrières de rochers en apparence impénétrables se présentaient à travers les chênes rabougris et dépouillés de feuillage qui y étaient parsemés. La base de cette montagne n’était pas à un demi-mille de la ferme, et l’objet qui fixait l’attention de Frances était la figure d’un homme qui se montra un instant en sortant de derrière la pointe d’un rocher dont la forme était remarquable, et qui disparut aussitôt. Il répéta plusieurs fois cette manœuvre, comme si son intention eût été d’examiner, sans se laisser voir, les mouvements des troupes dans la plaine, et de reconnaître la position qu’elles y occupaient. Malgré la distance qui l’en séparait, Frances s’imagina sur-le-champ que cet homme était Harvey Birch. Elle devait peut-être cette impression à l’air et à la taille de cet individu, et, jusqu’à un certain point, à l’idée qui s’était déjà présentée à elle quand elle l’avait vu, sur cette montagne, entrer dans la chaumière qui y était si singulièrement placée ; car elle ne pouvait douter que ce ne fût le même homme, quoique en ce moment il n’eût plus l’apparence de difformité qu’elle avait attribuée à la balle du colporteur. Son imagination trouvait un point de jonction si frappant entre Harvey et M. Harper, attendu les manières également mystérieuses de ce dernier, que même dans des circonstances moins inquiétantes que celles où elle se trouvait alors, elle n’aurait voulu communiquer ses soupçons à personne. Frances réfléchissait donc en silence sur cette seconde apparition, et s’efforçait de découvrir quelle sorte de liaison pouvait avoir le destin de sa famille avec cet homme extraordinaire. Il avait certainement sauvé la vie de Sara lors de l’incendie des Sauterelles, et dans aucune circonstance il ne s’était montré ennemi des intérêts de la famille Wharton.
Après avoir eu longtemps les yeux fixés sur l’endroit où elle l’avait vu pour la dernière fois, dans la vaine attente de le voir encore reparaître, elle se tourna vers ses parents. Miss Peyton était assise près de Sara, qui semblait donner quelque attention à ce qui se passait mais sans paraître éprouver ni joie ni chagrin.
– Je suppose qu’à présent, ma chère Frances, vous voilà bien au fait des manœuvres d’un régiment, dit miss Peyton à sa nièce en souriant ; toutefois cette curiosité n’a rien de blâmable dans l’épouse d’un militaire.
– Je ne le suis pas encore, répondit Frances en rougissant jusqu’au blanc des yeux, et nous n’avons guère de motif pour désirer de voir un autre mariage dans notre famille.
– Frances, s’écria son frère en se levant et en se promenant dans la chambre d’un air agité, ne touchez pas de nouveau cette corde, je vous en supplie ; tandis que mon destin est encore si douteux, je voudrais être en paix avec tout le genre humain.
– Eh bien ! que tout doute disparaisse, dit Frances en courant vers la porte, car voici Dunwoodie qui arrive.
À peine avait-elle prononcé ces mots que la porte s’ouvrit, et le major entra. Sa physionomie n’annonçait ni la joie du triomphe, ni le chagrin de la défaite, mais il avait évidemment l’air contrarié. Il prit la main que Frances, dans la plénitude de son cœur, lui présenta ; mais, la laissant échapper sur-le-champ, il se jeta sur une chaise, paraissant accablé de fatigue.
– Vous n’avez pas réussi, dit Wharton en tressaillant, mais avec un visage calme.
– N’avez-vous pas vu Harper ? s’écria Frances en pâlissant.
– Non. Il paraît que, tandis que je traversais l’Hudson dans une barque, il le passait lui-même dans une autre pour venir de ce côté. Revenant sur-le-champ, j’ai réussi à le suivre à la piste pendant quelques milles, mais j’ai fini par perdre ses traces dans les montagnes. Je suis revenu ici pour ne pas vous laisser dans
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