L'Espion - Un épisode de la guerre d'indépendance
me ressembler le moins du monde, dit César en regardant son jeune maître avec une sorte de mécontentement.
– Attendez, que j’aie placé la laine, César, dit le colporteur avec cet air de sarcasme qu’il prenait quelquefois.
– Lui être pire que jamais à présent, dit le nègre toujours mécontent ; lui avoir une tête comme un mouton noir, et deux lèvres ! moi n’en avoir jamais vu de semblables.
On avait mis le plus grand soin à préparer les divers objets nécessaires au déguisement du capitaine Wharton, et lorsqu’ils furent placés sur lui avec l’adresse et l’intelligence du colporteur, ils opérèrent une métamorphose qu’une attention extraordinaire aurait pu seule découvrir. Le masque offrait les traits et la couleur de la race africaine, et la perruque était si artistement composée de laine noire et blanche ; que César lui-même finit par y donner son approbation.
– Dans toute l’armée américaine, capitaine Wharton, dit Harvey en regardant son ouvrage avec un air de satisfaction, il n’y a qu’un seul homme qui pourrait vous découvrir, et heureusement il n’est pas-ici en ce moment.
– Et qui est cet homme ?
– Celui qui vous a arrêté ; il apercevrait votre peau blanche sous le cuir d’un cheval. Mais déshabillez-vous tous deux ; il faut que vous changiez de vêtements de la tête aux pieds.
César, qui avait reçu du colporteur des instructions détaillées dans leur entrevue du matin, commença sur-le-champ à se débarrasser de ses habits grossiers ; son jeune maître les prit, et se disposa à s’en revêtir, sans pouvoir pourtant cacher entièrement le dégoût que ce troc lui inspirait.
Il y avait dans les manières d’Harvey un singulier mélange d’inquiétude et de bonne humeur qui prenait sa source tant dans la connaissance qu’il avait du péril que dans les détails grotesques dont il s’occupait, et dans l’indifférence produite par une longue habitude de braver la mort.
– Allons, capitaine, dit-il en prenant de la laine pour l’enfoncer dans les bas de César qui étaient déjà sur les jambes du prisonnier, il faut quelque jugement pour donner à ces membres une forme convenable. Vous allez les mettre en vue en montant à cheval, et ces dragons du sud ont de bons yeux. S’ils apercevaient une jambe si bien tournée, ils sauraient sur-le-champ qu’elle n’a jamais appartenu à la carcasse d’un nègre.
– Sur ma foi, dit César en riant à se fendre la bouche d’une oreille à l’autre, pantalons de jeune maître m’aller à ravir !
– Excepté aux jambes, dit le colporteur en continuant à s’occuper avec sang-froid de la toilette de Henry. Maintenant passez cet habit, capitaine. Réellement vous pourriez figurer à merveille dans une mascarade. Et vous, César, mettez-vous sur la tête cette perruque bien poudrée ; ayez bien soin de regarder par la fenêtre quand on ouvrira la porte, et de ne pas prononcer un seul mot, sans quoi vous nous trahiriez tous.
– Harvey supposer qu’homme de couleur pas avoir une langue comme les autres, murmura César en prenant l’attitude qui venait de lui être enjointe.
Tout était prêt, il ne restait plus qu’à agir ; mais auparavant le prudent colporteur répéta encore toutes ses instructions aux deux acteurs de cette scène. Il recommanda au capitaine de déguiser sa tournure militaire, de voûter sa taille droite et d’imiter de son mieux l’humble démarche du serviteur de son père ; enfin il enjoignit de nouveau à César la discrétion et surtout le silence. Tous ces préparatifs étant terminés, il ouvrit la porte et appela à haute voix le factionnaire, qui s’était retiré à l’autre bout de la chambre dans laquelle il montait sa garde, pour ne dérober aucune partie des consolations spirituelles qu’il sentait appartenir à un autre.
– Appelez la maîtresse de la maison, dit Harvey du ton solennel qui convenait à son air emprunté, et qu’elle vienne seule. Le prisonnier est occupé de pieuses méditations, et il ne faut pas l’en distraire.
César baissa la tête et appuya son front sur ses deux mains, qui était couvertes par des gants, et quand le soldat jeta un coup d’œil dans l’appartement, il crut voir son prisonnier livré à de profondes réflexions. Jetant un regard de mépris sur le ministre, il appela à haute voix la bonne fermière que son zèle religieux fit accourir sur-le-champ, dans l’espoir qu’elle allait
Weitere Kostenlose Bücher