L'Espion - Un épisode de la guerre d'indépendance
le capitaine sur le même ton, sans faire attention aux offres de la vivandière. Quel dommage que des vermisseaux comme les hommes souffrent que leurs viles passions déshonorent de si beaux ouvrages !
– Vous avez raison, Lawton ; si chacun voulait vivre en paix et se contenter de ce qu’il a ; il y aurait assez de place pour tout le monde. Cependant la guerre n’est pas sans utilité ; elle propage notamment les connaissances de l’art de la chirurgie, et…
– Voyez cette belle étoile qui cherche à briller entre ces deux nuages, dit Lawton suivant le cours de ses idées ; c’est peut-être aussi un monde ; peut-être elle contient des créatures douées de raison comme nous : croyez-vous qu’on y connaisse la guerre, qu’on y verse le sang ?
– S’il m’est permis de placer un mot, dit le sergent Hollister en portant machinalement la main à son casque, je dirai que nous voyons dans le livre saint que pendant que Josué exécutait une charge, le Seigneur permit au soleil de s’arrêter, sans doute pour qu’il y vit plus clair pour tourner le flanc des ennemis, faire une feinte contre leur arrière-garde, ou quelque chose de semblable. Or, puisque le Seigneur lui a ainsi prêté la main, la guerre n’est donc pas un mal. Mais ce que je ne conçois pas, c’est que les militaires de ce temps-là se servissent de chariots au lieu de dragons qui valent bien mieux pour enfoncer une ligne de fantassins, qui, quant à cela, pouvaient tourner ces voitures à roues, les prendre en arrière et envoyer au diable chevaux, chariots et tout ce qui s’ensuit.
– C’est que vous n’en connaissez pas la construction, sergent, dit le docteur avec gravité. Ces chariots étaient armés de faux et d’instruments tranchants qui portaient le désordre dans les rangs de l’infanterie. Si l’on arrangeait de cette manière la charrette de mistress Flanagan, vous verriez aujourd’hui même qu’elle pourrait jeter beaucoup de confusion dans les rangs ennemis.
– Du diable si ma jument ferait beaucoup de chemin au milieu des coups de fusil, murmura Betty sous sa couverture. Quand nous poursuivîmes les troupes régulières dans le Jersey, et que je voulus avancer sur le champ de bataille pour ramasser ce qui pouvait s’y trouver, ce fut moi qui fus obligée de la prendre en arrière pour la faire approcher des morts. Non, non, elle ne remuerait pas un pied tant qu’elle entend un coup de fusil ; Roanoke et le capitaine Jack suffisent pour les habits rouges, et vous pouvez nous laisser tranquilles moi et ma jument.
Un battement prolongé de tambours, partant de la colline occupée par les Anglais, annonça qu’ils étaient sur leurs gardes, et le même signal se fit entendre au milieu de l’infanterie américaine. La trompette des Virginiens fit retentir l’air d’un son martial, et en un instant les deux collines où l’on voyait d’un côté les Américains, de l’autre les troupes royales, offrirent une scène animée. Le jour commençait à paraître, et, des deux côtés on se mettait en mesure, ici pour attaquer, là pour se défendre. Les Américains avaient l’avantage du nombre ; mais pour la discipline et les armes, la supériorité était entièrement du côté des Anglais. Les dispositions pour le combat ne prirent que peu de temps, et le soleil se levait à peine quand la milice se mit en marche.
Le terrain offrait des obstacles aux mouvements de la cavalerie, et les dragons ne purent avoir d’autres ordres que d’attendre le moment de la victoire pour se mettre alors à la poursuite de l’ennemi en déroute. Lawton fit monter à cheval sa petite troupe, et la laissant sous le commandement d’Hollister, il parcourut les lignes des miliciens qui, étant pour la plupart sans uniforme et imparfaitement armés, avaient pourtant été disposés de manière à former une sorte de ligne de bataille. Un sourire de mépris se peignait sur les lèvres du capitaine, tandis que d’une main habile il guidait Roanoke à travers leurs rangs mal alignés. Lorsque l’ordre de marcher leur eut été donné, il tourna le flanc du régiment et le suivit à quelques pas. Les Américains avaient à descendre dans une petite vallée et à gravir l’autre colline pour approcher de l’ennemi. Ils descendirent en assez bon ordre et avancèrent jusqu’au pied de la hauteur ; mais alors les Anglais marchèrent à leur rencontre, ayant leurs flancs protégés par la nature du terrain. Les
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