L'Espion - Un épisode de la guerre d'indépendance
qui avait caractérisé toute cette scène ; un morceau de planche fut placé sur le baril défoncé et on lui ordonna d’y monter.
– Mais le baril peut tomber, dit le Skinner, commençant à trembler pour la première fois. Sans que vous preniez tout cet embarras, je vous dirai tout ce que je sais ; je vous donnerai même les moyens de surprendre ma troupe, quoique ce soit mon propre frère qui la commande.
– Je n’ai que faire de tes renseignements, lui répondit son exécuteur, car le capitaine en remplissait alors les fonctions ; et tendant d’abord la corde de manière à rendre un peu gênante la situation du Skinner, il la fit ensuite passer plusieurs fois autour de la poutre, et finit par en jeter le bout par dessus de manière à le mettre hors de portée.
– Cela passe la plaisanterie, dit le Skinner d’un ton de remontrance, en se levant sur la pointe des pieds et en faisant de vains efforts pour dégager sa tête du nœud coulant ; mais l’expérience du Vacher avait mis bon ordre à ce qu’il pût échapper.
– Qu’as-tu fait du cheval que tu m’as volé, drôle ? lui demanda l’officier en lâchant des nuages de fumée, tout en attendant une réponse.
– Il a crevé dans une course, répondit vivement le Skinner ; mais je puis vous dire où vous en trouverez un qui vaut mieux que lui, et son père n’ont jamais valu.
– Menteur ! quand il m’en faudra un, je saurai où me le procurer ; mais je te conseille de te recommander à Dieu, car tu n’as plus longtemps à rester en ce monde.
En terminant cet avis consolant, le capitaine donna un grand coup de pied au baril, dont les douves se dispersèrent de tous côtés, et laissèrent le Skinner suspendu en l’air. Comme il avait les mains libres, il les leva sur-le-champ, saisit la corde et se soutint par la force de ses poignets.
– Allons, capitaine, dit-il, d’une voix qui commençait à devenir rauque, tandis que ses genoux étaient agités par un tremblement, c’est assez plaisanter, et vous avez eu tout le temps de rire. Mes bras commencent à se lasser, en vérité je ne puis me soutenir plus longtemps.
– Monsieur le colporteur, dit le chef des Vachers d’un ton d’autorité, je n’ai que faire de votre compagnie. Votre route est par cette porte, marchez, et si vous vous avisez de toucher à ce chien, je vous fais pendre à sa place, quand même une vingtaine de sirs Henry {46} auraient besoin de vos services. À ces mots, il regagna la route avec le sergent, tandis que Birch partait de son côté avec précipitation.
Il n’alla pourtant pas bien loin, et ayant trouvé un épais buisson qui pouvait le cacher aux yeux des Vachers, il s’arrêta derrière, cédant à un désir irrésistible de voir quelle serait la fin de cette scène extraordinaire.
Resté seul dans la grange, le Skinner jeta de tous côtés des regards effrayés pour tâcher de voir ce que devenaient ses persécuteurs. Pour la première fois son esprit parut admettre l’horrible idée que les Vachers avaient des projets sérieux contre sa vie. Il les supplia de le délivrer, leur promettant avec des paroles entrecoupées de leur donner d’importantes informations, affectant même de regarder tout ce qui s’était passé comme une plaisanterie. Mais quand il entendit le bruit de leurs chevaux qui se remettaient en marche, et qu’il n’aperçut autour de lui aucun secours humain, le désespoir lui fit faire un effort pour atteindre la poutre, mais ses forces étaient déjà trop épuisées, et il ne put y réussir. Il parvint pourtant à saisir la corde avec les dents, il fit une vaine tentative pour la couper, et retomba, mais encore soutenu par ses bras. En ce moment, ses cris devinrent des hurlements.
– Au secours !… Coupez la corde… Capitaine !… Birch !… Bon colporteur !… Au diable le congrès ! Sergent !… Au secours, pour l’amour de Dieu !… Vive le roi !… Ô Dieu !… ô Dieu !… merci !… merci !…
La voix lui manqua ; il lâcha la corde d’une main pour tâcher de la passer entre son cou et le nœud coulant ; il y réussit en partie, mais l’autre tomba sans force à son côté ; des convulsions l’agitèrent quelques instants, et bientôt il ne resta de lui qu’un cadavre hideux. Cette scène affreuse semblait avoir rendu Harvey immobile et il la contemplait comme involontairement et glacé d’horreur. Cependant les derniers cris du mourant, lui rendirent le mouvement ;
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