L'Espion - Un épisode de la guerre d'indépendance
il courut vers la grande route en se bouchant les oreilles des deux mains ; mais le cri épouvantable : merci !… merci ! continua à y retentir, et pendant plusieurs semaines sa mémoire ne cessa de lui retracer ce spectacle terrible. Cependant les Vachers continuaient leur route, comme si rien d’extraordinaire ne fût arrivé, et le corps du Skinner resta suspendu jusqu’à ce que le hasard voulût en disposer autrement.
CHAPITRE XXXIII
Ami de mes jours plus heureux, que le gazon qui te couvre soit toujours vert. Personne ne te connaissait que pour t’aimer ; personne ne parlait de toi que pour faire ton éloge.
HALLECK.
Tandis que les scènes et les événements dont nous venons de rendre compte se passaient, le capitaine Lawton, marchant avec lenteur et prudence, et partant du village des Quatre-Coins, conduisait son petit détachement en face d’un corps de troupes ennemies ; et il manœuvra si adroitement pendant quelque temps, que non seulement il déjoua tous leurs pièges, mais encore il leur cacha si bien la faiblesse de son corps qu’il les tint dans une crainte perpétuelle d’être attaqués par les Américains. Cette temporisation circonspecte n’était pas dans le caractère de l’impétueux partisan, mais il exécutait les ordres qu’il avait reçus de son commandant. Quand Dunwoodie avait quitté son régiment, on savait que l’ennemi s’avançait à petites journées, et il avait chargé Lawton de se borner à observer les troupes anglaises jusqu’à son retour, et jusqu’à l’arrivée d’un corps d’infanterie qui pût aider à leur couper la retraite.
Lawton exécuta ces ordres à la lettre, mais s’il s’abstint d’attaquer l’ennemi, ce ne fut pas sans un peu de cette impatience qui lui était naturelle.
Pendant ces mouvements, Betty Flanagan conduisait sa petite charrette avec un zèle infatigable à travers les montagnes du West-Chester, tantôt discutant avec le sergent Hollister sur la nature des malins esprits et la qualité des liqueurs spiritueuses qu’elle vendait, tantôt se querellant avec le docteur Sitgreaves sur divers points de pratique qui se présentaient tous les jours relativement à l’usage des stimulants, sujets sur lesquels ils avaient une opinion diamétralement opposée. Mais on vit enfin arriver le moment qui devait mettre fin aux discussions et aux querelles. Un détachement de milice des provinces de l’est sortit des gorges des montagnes et s’approcha de l’ennemi.
La jonction de Lawton et de cette troupe auxiliaire se fit à minuit, et les deux chefs se concertèrent sur les mesures qu’ils avaient à prendre. Après avoir écouté le capitaine, qui méprisait un peu la prouesse de l’ennemi, le commandant de l’infanterie prit la résolution d’attaquer les Anglais dès que le jour permettrait de reconnaître leur position, sans attendre l’arrivée de Dunwoodie et de la cavalerie. Dès que cette détermination fut prise, Lawton sortit du bâtiment où la conférence avait eu lieu, et alla rejoindre sa petite troupe. Le petit nombre de dragons qui étaient sous les ordres de Lawton avaient attaché leurs chevaux au piquet près d’une meule de foin, à l’abri de laquelle ils s’étaient ensuite couchés pour prendre quelques heures de repos. Mais le docteur Sitgreaves, le sergent Hollister et Betty Flanagan étaient à part à quelque distance, sur des couvertures qu’ils avaient étendues sur la surface raboteuse du rocher. Lawton vint se placer à côté du docteur. Enveloppé de son manteau, la tête appuyée sur une main, il semblait contempler la lune qui parcourait majestueusement le firmament. Le sergent écoutait dans une attitude respectueuse des instructions que lui donnait le docteur ; et Betty, dont la tête reposait sur une petite barrique de sa liqueur favorite, la soulevait de temps en temps, partagée entre l’envie de dormir et le désir de parler pour défendre quelqu’une de ses doctrines favorites.
– Vous devez sentir, sergent, dit le docteur, qui s’était interrompu quand Lawton était arrivé, que si vous portez un coup de sabre de bas en haut, il perd la force additionnelle que lui donne le poids de votre corps et devient moins fatal à la vie humaine ; et cependant il n’en arrive pas moins au but véritable de la guerre, qui est de mettre l’ennemi hors de combat.
– Allez votre train, sergent, dit la vivandière. Où est donc le grand mal de tuer son homme quand on est à se
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