L'Espion - Un épisode de la guerre d'indépendance
s’empara du sabre de Lawton. La vengeance est une passion qui ne semble que trop naturelle à l’homme. Peu de gens n’ont pas éprouvé le plaisir séduisant de faire retomber une injure sur la tête de celui qui en paraît l’auteur, et cependant il en est quelques-uns qui savent combien il est plus doux de rendre le bien pour le mal. Tout ce qu’avait souffert le colporteur se retraça vivement à son esprit. Le démon prévalut en lui un instant, et Birch fit brandir en l’air l’arme fatale ; mais le moment d’après il la jeta près du capitaine qui reprenait ses sens, mais qui était encore hors d’état de se défendre, et prit la fuite vers la montagne protectrice.
– Aidez le capitaine à se relever, s’écria Mason arrivant avec une douzaine de dragons, et que quelques-uns de vous mettent pied à terre. Il faut gravir cette montagne ; le misérable y est caché !
– Arrêtez ! s’écria Lawton d’une voix de tonnerre en se relevant avec difficulté. Si quelqu’un de vous descend de cheval, il périra de ma main. Tom, mon brave garçon, aidez-moi à remonter sur Roanoke. Le lieutenant étonné obéit en silence, tandis que les dragons, non moins surpris, restaient immobiles sur leur selle, comme s’ils eussent fait partie intégrante des animaux qu’ils montaient.
– Je crains que vous ne soyez blessé, dit Mason avec un ton de condoléance quand ils se furent remis en marche et en mordant le bout d’un cigare, faute de meilleur tabac.
– Très-possible, répondit le capitaine respirant et parlant avec quelque difficulté ; je voudrais que notre renoueur fût ici pour qu’il examinât l’état de mes côtes.
– Sitgreaves est resté près du capitaine Singleton, chez M. Wharton.
– En ce cas j’y ferai halte toute la nuit, Tom. Dans un temps comme celui-ci, les cérémonies sont superflues. D’ailleurs vous pouvez vous souvenir que le vieux M. Wharton a montré beaucoup d’égards pour le corps. Oh ! je ne puis passer devant la porte d’un si bon ami sans lui rendre une visite.
– Et je conduirai la troupe aux Quatre-Coins, car si nous nous arrêtons tous aux Sauterelles, nous y introduirons la famine.
– Ce que je suis très-loin de désirer, Mason. L’idée des excellents petits pains de cette aimable vieille fille offre à l’imagination une perspective agréable.
– Allons, allons, dit le lieutenant avec gaieté, vous ne mourrez pas de cette chute, puisque vous pensez à manger.
– Je mourrais certainement si je ne mangeais pas, répondit gravement le capitaine.
– Capitaine, dit un maréchal-des-logis en s’approchant de lui, nous voici en face de la maison de cet espion, de ce colporteur voulez-vous que nous y mettions le feu ?
– Non, s’écria Lawton en jurant, et d’un ton qui fit tressaillir le sergent. Êtes-vous un incendiaire ? Voudriez-vous brûler une maison de sang-froid ? Que quelqu’un en approche une étincelle, et il ne mourra que de ma main.
– Diable ! s’écria le cornette qui était moitié endormi sur son cheval, et que la voix de Lawton avait éveillé, il y a encore de la vie dans le capitaine, malgré sa chute.
Lawton et Mason firent le reste de la route en silence, le dernier réfléchissant sur le changement merveilleux qu’une chute de cheval pouvait opérer. Ils arrivèrent enfin à la maison de M. Wharton. La troupe continua sa marche ; mais son capitaine et son lieutenant mirent pied à terre, et suivis par le domestique du premier, ils avancèrent à pas lents vers la maison.
Le colonel Wellmere s’était retiré de bonne heure dans son appartement pour y cacher sa mortification. M. Wharton était enfermé avec son fils ; et le docteur Sitgreaves prenait le thé avec les dames, après avoir fait mettre au lit un de ses malades et avoir vu l’autre jouir des douceurs d’un sommeil paisible. Quelques questions que lui avait faites miss Peyton l’avaient bientôt mis à son aise. Il connaissait toute sa famille en Virginie ; il ne pouvait même croire qu’il ne l’y eût jamais vue. Miss Peyton n’avait aucun doute à cet égard, car si elle eût vu une seule fois le docteur, elle n’aurait jamais oublié ses singularités. Cette circonstance dissipa cependant l’embarras de leur situation, et il s’ensuivit une sorte de conversation que les nièces se bornèrent à écouter, et dans laquelle la tante ne prit pas une très-grande part.
– Comme je l’ai dit à monsieur votre
Weitere Kostenlose Bücher