L'Eté de 1939 avant l'orage
Jeudi?
Farah-Lajoie émit un petit sifflement. Bien sûr, il jouissait de certains loisirs, mais nâempêcheâ¦
â Je réfléchirai à ce que je peux faire dans un laps de temps si court. Vous savez, des semaines ont passé, et le capitaine Tessier ne mâaidera pas avec plaisir.
Cela, se dit Renaud, était même un euphémisme. Le policier dâOutremont serait certainement vexé de voir son travail remis en question.
â Donc, nous nous rencontrerons de nouveau ici jeudi, le 6 juillet, continua Farah-Lajoie, à la même heure. Une simple curiosité: qui me paiera dans cette affaire?
â Il sâagit dâun bienfaiteur anonyme qui ne sait pas encore quâil couvrira cette dépense.
â Riche, puissant et en politique?
Curieux, le policier levait des sourcils étonnés:
â Riche et puissant, mais pas réellement en politique.
Enfin, pas au sens où nous lâentendons habituellement. Ne pensez pas à quelquâun du cabinet fédéral.
â Ah! Pourtant, cela doit titiller certains ministres. Vous évoquez une personne riche, dans ce cas, la facture sera un peu salée. Quand cela vient de votre poche, je me fais violence. Si vous nâavez rien à ajouter, je me mets tout de suite au travail. Jeudi, câest après-demain!
Le policier se leva et, après un salut, sâéloigna dâun pas vif. Renaud resta longuement assis devant son mauvais café, feuilletant un numéro du journal Le Canada , un périodique voué à chanter les louanges du Parti libéral. Un moment il eut envie dâattendre la pause du midi, alors que les avocats envahiraient lâendroit, heureux de sâabsenter du Palais de justice pendant une heure. Le souvenir que tous ces gens-là fumaient le fit renoncer à ce projet. Apprendre les dernières nouvelles des prétoires ne valait pas une quinte de toux interminable.
Bien sûr, le capitaine Tessier ne pouvait que recevoir comme un affront le fait quâune personne se propose de refaire son enquête après lui. Il avait dû travailler avec un avocat qui regardait par-dessus son épaule. Maintenant, un détective à la retraite lui demandait dâavoir accès non seulement au rapport qui était allé au Procureur général, mais aussi aux notes prises au fil de ses démarches.
Pourtant, lâaccueil ne se révéla pas mauvais. Dâabord, avoir affaire au policier le plus respecté que Montréal ait connu, mis à pied pour avoir proposé dâorganiser le service dâenquête sur des bases rationnelles, cela ne se comparait pas aux interventions habituelles de politiciens désireux dâuser de leur influence. Ensuite, comment en vouloir à un homme qui, depuis lâembrasure de la porte de son bureau, avait simplement déclaré en guise dâintroduction:
â Capitaine Tessier, je vous invite à dîner. Nous allons nous régaler, Maître Renaud Daigle réglera la facture.
Dix minutes plus tard, les deux compagnons commençaient par boire un verre de vin blanc à la terrasse du Café Pierre , rue Bernard. Sous leurs yeux, la bouteille suait à grosses gouttes dans un seau rempli de glace.
â Moi qui pensais en avoir fini avec cette histoire. Ce gars devrait être content, son client est sorti de son cachot, bougonnait le policier.
â Sauf que tous ses voisins, ses collègues, peuvent conserver leurs doutes. Aussi longtemps que personne nâest condamné, le conjoint demeure le coupable parfait.
â Tout de même, demeurer le suspect dans une belle maison de la rue Davaar, cela vaut mieux que la prison. Il devrait se considérer comme chanceux, et ne plus faire de bruit.
Très clairement, le policier continuait de croire en la culpabilité du mari. Farah-Lajoie se dit quâen conséquence, son collègue nâavait consenti aucun effort du côté des milieux fascistes.
â Entre vous et moi, que pensez-vous de son alibi? demanda-t-il.
â Solide. Meilleur que ceux dont on se contente habituellement. Quelquâun lâa vu à tous les endroits où il prétend avoir été, dans les douze heures précédant et suivant le meurtre.
â Alors, pourquoi je ne lis pas sur votre visage le plaisir dâavoir sorti un innocent des griffes de la justice?
Il y avait juste assez dâironie dans la
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