L'Eté de 1939 avant l'orage
à nouveau lâalibi.
Ãlise laissa échapper un soupir, un peu désespérée. Cette histoire se terminerait-elle un jour? Pourtant, pendant des semaines il ne sâétait rien passé.
â Comment se fait-il que ce policier se trouve aujourdâhui mêlé à cette affaire?
â Il mâa dit travailler pour le Procureur général. Câest vrai, jâai vérifié.
â Un employé de Maurice Duplessis, donc. Je suppose que ce renard a flairé là une occasion de nuire au Parti libéral. Déjà en 1926, avec lâhistoire de Blanche Girouard, son parti penchait vers ces tactiques. Dans le temps, il était conservateur.
Cela se pouvait bien, pensa le médecin, même si le chef de lâUnion nationale devait avoir bien dâautres chats à fouetter avec les difficultés économiques dans lesquelles se débattait son gouvernement. Après un long moment de silence, Davidowicz en vint enfin au sujet qui le préoccupait le plus:
â Tu as vu les journaux? La conflagration semble sur le point dâéclater. Les Allemands menacent de sâemparer du couloir de Dantzig.
â Tu mâen excuseras, mais ces temps-ci, la conjoncture tout à fait locale me préoccupe plus que celle qui existe en Europe. Ne devrait-on pas en parler à ton avocat?
â Parler de lâintervention de Farah-Lajoie à Daigle? Je nâen vois pas vraiment lâutilité. Si jamais il y a du nouveau, nous aviseronsâ¦
Les amants se quittèrent en se donnant rendez-vous pour le lendemain, puis Ãlise Trudel récupéra Solomon toujours assis bien raide sur sa chaise.
25
Le lendemain matin, un samedi, les Bielfeld montrèrent que leur respect du sabbat ressemblait fort à celui du dimanche des Daigle. Au lieu de fermer toutes les issues et de se cloîtrer pour sanctifier Dieu, le père et la fille abandonnèrent la mère à la préparation du repas pour aller se distraire chez les voisins.
Fran se retrouva bientôt enfermée dans une toute petite pièce à lâétage. Comme des balais y avaient été entreposés jusquâà tout récemment, une odeur de poussière picotait le nez. Une ampoule rouge allumée au plafond répandait une faible clarté sanglante dans le réduit. Un panneau de contre-plaqué obstruait totalement une minuscule fenêtre.
â Tu sais comment finir des photographies? murmura-t-elle, un peu admirative.
Fran posait la question à sa compagne qui, gantée, pesait du bout des doigts sur un rectangle de papier trempant dans un récipient de verre.
â Depuis toujours. Depuis que je suis toute petite, je regarde faire papa. Toutefois, je ne peux le faire seule que depuis lâhiver dernier. Papa avait décrété que je pourrais quand nous trouverions des gants de caoutchouc à ma taille.
Heureusement, jâai de grandes mains.
En disant cela, la fillette les leva pour les montrer. Elle continua:
â Câest de lâacide. Cela brûle. Fais attention.
Les deux têtes penchées au-dessus du contenant contemplaient lâapparition de lâimage sur la feuille de papier, dâabord une ombre fugace, puis un visage très net.
Nadja avait rapidement abandonné tout espoir de faire sortir une succession de notes justes dâun instrument de musique. Toutefois, voir son père prendre des photographies, pour les développer ensuite lui-même dans sa petite chambre noire, la rendait à la fois admirative et envieuse. Très jeune, elle gâchait de la pellicule en photographiant tout ce qui se trouvait à sa portée. Georges Minou avait été immorta-lisé plus souvent que nâimporte quelle vedette de cinéma.
Maintenant, la fillette contrôlait tout le processus, de la prise du cliché jusquâà lâagrandissement de ses réussites les plus remarquables.
Dans le bassin, le visage de Fran se dessinait sur le rectangle de papier.
â Je suis belle.
Elle avait dit cela sans la moindre prétention, un peu surprise même de ce quâelle découvrait sous ses yeux. Nadja nâavait pas saisi que les traits, mais aussi lââme de ce que Fran deviendrait dix ans plus tard: une femme à la fois tourmentée et passionnée. Pour la pose, la rouquine lui avait attaché les cheveux bien serrés en une courte queue de cheval, ce qui
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