L'Etoffe du Juste
ses occupations, manifestement habituée à l’arrivée de convois. Lorsque nous eûmes atteint le pied de la haute et solide muraille, protégée par de profondes douves qui en rendaient l’accès impossible, nous nous arrêtâmes devant une porte massive. À sa gauche se dressait une tour carrée qui devait sans doute servir de résidence, si j’en jugeais par les fenêtres qui la perçaient. À droite s’élevait une tour de guet ronde. Guy et moi nous trouvions à quelques toises de Pierrepont et je le vis adresser quelques mots aux gardes, qui lui ouvrirent sans tarder. Les soldats se mirent en marche et nous entrâmes.
L’enceinte était vaste et même un œil peu averti pouvait voir à quel point le travail de maçonnerie était solide. Tout était entretenu à la perfection, comme il se devait pour une forteresse dont la fonction première était de bloquer la voie à un éventuel envahisseur anglais. De l’intérieur, je pus confirmer que la muraille était parsemée, à intervalles réguliers, d’une douzaine de tours de guet. La plupart étaient carrées et crénelées, ou encore percées d’archères. Quelques-unes étaient circulaires, dont celle, plus haute et massive que les autres, que j’avais désignée comme point de rendez-vous à mes compagnons. Elle donnait un accès direct au chemin de ronde auquel, chose étonnante, un pont mobile la reliait de chaque côté. De toute évidence, on pouvait s’y réfugier, le cas échéant, ou empêcher quiconque s’y trouvait d’en sortir en relevant ce pont. Une muraille secondaire s’y prenait pour former, dans le coin sud-est de la forteresse, une petite enceinte intérieure à laquelle se greffait un corps de logis en pierre à deux étages.
— On l’appelle la Tour du Prisonnier, dit Guy à ma gauche.
— Vous connaissez cet endroit, sire ? m’enquis-je, étonné.
— J’y suis passé quelques fois avant de traverser la Manche vers les terres familiales, m’expliqua-t-il.
— Et de quel prisonnier parle-t-on ?
— Tous les captifs d’un certain statut y sont gardés.
— Et les autres ?
— On les met au donjon, comme il se doit. Et voici d’ailleurs la Motte.
Je regardai dans la direction qu’il m’indiquait. Au centre de la cour trônait une tour octogonale, renforcée par des contreforts de pierre massifs et couverte, qui était rien de moins qu’une merveille. Elle avait été érigée sur un monticule de terre qui semblait la pousser vers le ciel et son sommet crénelé dépassait de beaucoup le haut de la muraille. Jamais encore je n’avais vu donjon aussi étrange. Un peu comme à Quéribus, il était lui-même enclos dans une solide enceinte circulaire crénelée et fermée qui pourrait servir d’ultime retranchement si la forteresse était forcée. À vue de nez, il s’élevait à une quinzaine de toises du sol sur lequel je me tenais. De là-haut, on avait forcément une vue imprenable sur des lieues à la ronde. Aucune armée ne pourrait passer inaperçue et s’approcher. Quiconque serait retranché dans ce donjon pourrait soutenir un siège quasi éternel, car celui qui désirerait le prendre devrait gravir la pente abrupte du monticule pour ensuite se heurter contre la haute muraille, d’où une pluie de flèches s’abattrait sur lui. Je me rappelai ce que m’avait dit le marchand au sujet de Gisors : quiconque la possède tient la Seine. Je comprenais mieux, maintenant, pourquoi les Normands, qui l’avaient construite jadis pour le roi d’Angleterre, y tenaient tant.
Sous les regards indifférents des soldats qui composaient la garnison de la forteresse, notre petit convoi se dirigea vers le corps de logis. Au passage, je notai que la forteresse ne semblait pratiquement habitée que par des soldats. Ici, peu de femmes et point d’enfants. L’endroit était consacré à la guerre et à rien d’autre. Lorsque nous y fûmes admis, je constatai que la Tour du Prisonnier était presque aussi impressionnante que le donjon. Elle s’élevait à une douzaine de toises et son diamètre en comptait plus de six. Il fallait être aveugle pour ne pas voir combien ses murs étaient épais. Le corps de logis, lui, s’étendait sur deux étages spacieux. Avec Guy et moi, la troupe de Pierrepont se composait d’un peu plus de vingt hommes. Nous y serions logés sans difficulté.
On nous avait attribué un appartement commun au second étage d’un édifice en bois
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