L'Etoffe du Juste
se trouve quelque part !
Guillot, qui semblait jusque-là perdu dans ses pensées, releva la tête.
— La cache ne peut être que sous terre, déclara-t-il. Je n’ai aucun doute à ce sujet. Les instructions transmises à sire Gondemar le prouvent. Il ne peut en être autrement.
Il se mit à récapituler ses arguments en les comptant sur ses petits doigts rondelets.
— Primo : la seconde part se trouve à Gisors. Secundo : une chapelle qui n’a jamais vu la Lumière. Tertio : les Ténèbres et la Lumière. Quarto : V.I.T.R.I.O.L., qui fait allusion à un séjour sous terre. Quinto : la note de Baroche affirme que la Vérité restera dans les Ténèbres. Tous les indices pointent dans cette direction. Il faut simplement continuer à chercher. Notre cause est juste et, avec l’aide de Dieu, nous trouverons.
— Et si nous négligions quelque chose d’évident ? suggéra Pernelle, qui semblait prendre un malin plaisir à irriter le gros moine qui lui était antipathique. L’allusion à la marque d’infamie de Jésus, par exemple ? Ton alchimie dit quelque chose là-dessus ?
En grande réflexion, Guillot se frotta longuement le gras du menton avant de répondre à mon amie.
— J’ai beaucoup songé à cela, dame Pernelle. Sur la croix de Jésus, Ponce Pilate avait fait inscrire I.N.R.I. Un acronyme, pour Iesus Nazarenus, Rex Iudæorum. Mais l’Art royal en propose plusieurs autres interprétations. Igne Natura Renovatur Integra : « par le feu, la nature est entièrement rénovée ». Ineffabile Nomem Rerum Initium : « le Nom ineffable est le commencement des choses ». Et encore Insignia Natures Ratio Illustrat: « la raison dévoile les merveilles de la nature ».
— Tu es un beau parleur, moine, mais toutes tes connaissances ne nous avancent à rien, ragea Ugolin, qui ne portait pas dans son cœur le prêtre chrétien, lui non plus.
Voyant que la tension montait de nouveau entre eux et que les choses risquaient de s’envenimer, je me levai.
— Nous sommes tous épuisés par les nuits de travail et le manque de sommeil, dis-je. Je propose que nous prenions quelques jours de pause. Peut-être y verrons-nous plus clair ensuite.
— Une pause ? fit Pierrepont, l’air horrifié. Tu n’y penses pas ? Nous ne devons en aucun cas cesser nos efforts, voyons ! La Vérité doit être retrouvée sans tarder. Nous savons déjà que Montfort est sur sa piste et qu’il n’est pas homme à lambiner. Il faut coûte que coûte le prendre de vitesse.
— Sire Alain, personne ne souhaite retrouver la Vérité plus que moi, le rassurai-je, mais il vient un temps où seul le recul permet de réfléchir.
Tous avaient juré de protéger la Vérité et donneraient leur vie pour le faire, mais j’étais le seul à jouer le salut de son âme. Le temps ne pressait pour personne autant que pour moi. Pourtant, je ne voyais pas d’autre issue. Nous devions suspendre nos recherches quelque peu pour nous reprendre et j’avais besoin de calme pour penser.
— Qu’en pensent les autres ? s’enquit Pierrepont, résigné, en parcourant l’assemblée du regard. Devons-nous faire une pause ?
Un à un, mais sans enthousiasme, les sept membres de l’Ordre de Gisors et mes trois compagnons signifièrent leur accord en levant la main droite. Constatant l’unanimité, le Magister saisit l’abacus et prononça son décret.
— Fort bien. Puisque c’est la volonté de tous, nous interromprons nos recherches pour trois jours et trois nuits en espérant que le repos nous porte conseil. Secretum Templi la nuit suivante, mes frères et sœurs. Nous ferons alors le point sur la façon de poursuivre nos travaux. Que ce répit nous soit profitable.
Le conseil fut conclu et nous quittâmes le temple dans le silence, chacun étant perdu dans ses pensées. Lorsque nous émergeâmes de la Tour du Prisonnier, la nuit était fraîche, mais agréable. Il n’avait plus neigé depuis plusieurs jours et le printemps se faisait un peu sentir. Jehan, Guiburge, Thury, Guillot et les autres nous saluèrent et s’en furent, visiblement las. Pierrepont, lui, s’attarda auprès de moi.
— Tu as l’air inquiet, remarquai-je.
— On le serait à moins. Garder quelque chose toute sa vie pour s’apercevoir, le moment venu, que l’on n’est pas en mesure de le remettre. Voilà qui est fort embarrassant.
— Les choses ont été voulues ainsi, Alain, dis-je
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