L'Etoffe du Juste
déposai sur le sol et lui désignai le corps.
— Nous ne sommes pas seuls, on dirait, fit-elle en haussant un sourcil.
— Regarde, il porte le manteau des frères servants et son bras droit est manquant.
— Hum. S’agit-il de qui je pense ? demanda-t-elle.
— Tu connais beaucoup de templiers servants et manchots qui sont passés par Gisors ? Mais à toi de me le confirmer.
Elle s’approcha et je l’éclairai alors qu’elle se penchait sur la dépouille.
— Il est là depuis longtemps, confirma-t-elle en faisant une moue incertaine. Il est sec comme du vieux cuir. Une vingtaine d’années au moins.
Elle examina longuement la tête et les membres du mort, puis ouvrit son manteau et releva sa cotte de mailles rouillée pour inspecter sa poitrine. Lorsqu’elle fut satisfaite, elle se retourna vers moi.
— Une chose est certaine : son bras droit a été tranché net à l’épaule, bien avant qu’il meure, dit-elle. Même dans l’état où il est, la cicatrice est très visible. Il a été soigné par quelqu’un qui savait y faire.
— C’est bien Baroche, alors ?
— On dirait.
— Tu peux déterminer de quoi il est mort ?
— Il ne porte aucune blessure évidente. Il n’a pas été assassiné, Gondemar, dit-elle gravement. Il s’est donné la mort.
— Tu en es certaine ?
— La fosse est profonde de plus d’une perche 2 . S’il y avait été lancé vivant, il se serait probablement cassé le cou ou le dos et n’aurait jamais été en état de s’asseoir comme il l’a fait. S’il y avait été jeté déjà mort, il serait encore dans la position où il aurait atterri.
De l’index, elle m’indiqua la jambe du mort, sur laquelle elle avait remonté ce qu’il restait des braies.
— Tu vois ? Son tibia gauche est brisé au milieu. Sa cheville aussi. C’est pour cette raison qu’il ne l’a pas repliée comme l’autre.
— Tu veux dire que ?...
— Il a sauté volontairement sur ses deux pieds, compléta-t-elle. Le choc lui a rompu les os.
— Et il savait certainement que l’autel se remettrait en place une fois qu’il serait au fond, achevai-je, sonné.
— Exactement. M’est avis qu’il s’est emmuré vivant après s’être assuré que la seconde part était en sécurité.
— Et s’il avait sauté avec la Vérité ? m’écriai-je soudain.
Je me mis à examiner frénétiquement les parois de la fosse, espérant y découvrir la cache tant recherchée. Je n’eus aucun scrupule à écarter du pied la dépouille de Baroche, aussi légère qu’une plume, qui se retrouva fort indignement sur le côté. Mais j’eus beau gratter, tâter et tapoter, je ne trouvai rien. La paroi taillée à même le roc était parfaitement uniforme. Je n’y trouvai même pas une fente. Je fouillai les vêtements du mort, sans plus de succès.
— Bordel de Dieu ! m’exclamai-je, enragé. Cette maudite quête ne finira-t-elle jamais ?
— Du calme, mon ami, dit Pernelle en posant la main sur mon bras. Nous faisons des progrès.
— Ah oui ? Lesquels ? Nous avons le cadavre du messager, mais savons-nous davantage où se trouvent les documents ?
— Non, mais puisque Baroche n’a pas quitté Gisors, nous avons désormais la certitude que les documents y sont bel et bien.
— Où ?
— C’est ce qu’il reste à déterminer.
J’inspirai pour me calmer.
— Tu as raison, Pernelle.
— Je sais, dit-elle, un sourire espiègle sur le visage. Maintenant, si tu n’y vois pas d’objection, l’ambiance serait plus propice à la discussion en haut, non ?
Je mis mes mains en porte-voix et donnai l’ordre de nous remonter. Nous n’avions plus rien à faire dans la fosse. Avant que je ne la rattache, Pernelle s’agenouilla près de Baroche et, sans la moindre trace de dégoût, posa sa main sur sa tête décharnée.
— Que Dieu t’ait pardonné tes péchés et t’ait accueilli dans sa Lumière, Baroche, murmura-t-elle avant de se relever.
Une fois de retour dans le temple et débarrassé de mon attirail, je relatai aux autres ce que nous avions découvert au fond de la fosse.
— Tu es certain que c’est lui ? insista Pierrepont, visiblement estomaqué, lorsque j’eus terminé.
— Tout correspond à ce que vous en avez dit, répondit Pernelle.
— Alors il aurait rédigé sa note pour ensuite
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