L'Etoffe du Juste

Pernelle.
    —    Un peu mieux, oui, dit-elle, mais pas beaucoup.
    —    Tu es bien bonne de me rassurer.
    Je fus heureux de constater que le heaume était muni d’une visière qui me cacherait entièrement le visage. Je le coiffai et pris le temps de m’habituer au champ de vision restreint à la mince fente à hauteur des yeux. Dès que je fus prêt, Ugolin me passa l’extrémité de la corde autour de la taille, fit deux tours et l’attacha solidement. Lorsqu’il fut satisfait, il alla rejoindre Jaume. L’un derrière l’autre, les deux hommes enroulèrent le câble autour de leur avant-bras. Je savais qu’ils seraient plus solides que le tronc d’un chêne.
    —    S’il se produit quoi que ce soit, je vous dirai de me remonter.
    —    Et si tu ne peux pas appeler ? s’enquit Pernelle, inquiète.
    —    Alors, c’est qu’il sera déjà trop tard. Aussi bien me laisser au fond et refermer.
    Je posai la plante des pieds sur le bord du gouffre et me laissai aller vers l’arrière, dans le vide, en me tenant à la corde tendue. Puis Thury me tendit une torche, que je pris dans ma main infirme.
    —    Sois prudent, fit anxieusement Pernelle, une main couvrant sa bouche.
    —    Si jamais je trouve les documents et que je ne suis pas en état d’en prendre charge, ramenez-les à Eudes et à dame Esclarmonde, dis-je à mes compagnons. Ils décideront de ce qui doit être fait.
    Sans rien ajouter, j’amorçai ma descente. La corde passa sous mon plastron et se mit aussitôt à me labourer la chair du dos et des côtes, mais je n’y pouvais rien. Et puis, j’avais connu bien pire. La descente fut lente et douloureuse. Je m’attendais, à tout moment, à être aspergé de vitriol par un quelconque piège aménagé par les constructeurs du temple. Tout en m’enfonçant, j’inspectais soigneusement la paroi, à la recherche d’une cache, mais le roc ne portait que les marques des pioches et des ciseaux qui avaient servi à le creuser. Dans la lumière de la torche, j’aperçus enfin le fond. Je finis par poser avec soulagement les pieds sur le sol.
    Je demeurai immobile pour examiner le plancher et les murs. Lorsque je fus certain que rien ne se produirait, je relevai la visière du heaume. Les parois étaient lisses et ne laissaient soupçonner aucun piège. J’abaissai la torche pour mieux voir le fond de la fosse et fus surpris de constater qu’il était constitué d’une unique dalle de pierre lisse. Elle semblait avoir été déposée là et le joint qu’elle formait avec les parois de roc était parfait. Je laissai glisser mon regard le long du mur et sursautai lorsque j’aperçus, dans la lumière dansante des flammes, une botte au cuir à demi rongé par l’humidité.
    Puis je le vis. Il était mort depuis longtemps et ne représentait aucune menace. Il était adossé à la paroi, un peu affaissé vers la gauche. Son genou gauche était remonté sous son menton et retenu par son bras. Son autre jambe était allongée. Quelques touffes de cheveux noirs lui collaient encore au crâne. Ses orbites vides étaient fixées sur moi et ses lèvres desséchées dans une barbe abondante semblaient m’adresser un sourire narquois. Mon regard s’attarda sur le manteau noir qu’il portait. Le tissu avait été partiellement détruit par le temps, mais une forme rouge était encore visible sur le devant. La croix pattée. Sonné, je reconnus le manteau des frères servants des Templiers.
    Dominant ma répulsion, je me penchai sur le cadavre. Je constatai sans effort que son bras droit était manquant. Était-ce possible ? Me tenais-je devant la dépouille de ce Baroche qui avait apporté la Vérité à Montségur ? Une seule personne pouvait me le confirmer.
    Je détachai fébrilement la corde de ma taille.
    —    Faites descendre Pernelle ! criai-je aussitôt.
    —    Quoi ? s’écria Ugolin d’en haut. As-tu perdu l’esprit ? Elle va se rompre le cou !
    —    Tu m’as entendu ! Et vite !
    Sans doute à contrecœur, le Minervois remonta le câble et, une minute plus tard, Pernelle fut descendue dans la fosse à son tour. Je posai la torche debout contre la paroi et, dès que mon amie fut à ma portée, je la pris par les hanches pour l’aider à compléter son trajet. Je constatai qu’Ugolin, toujours prévenant à son égard, avait pris soin d’enrouler sa capeline autour de la taille de mon amie pour empêcher le câble de lui ronger la chair. Je la