L'Etoffe du Juste

le capuchon du moine et le tirai vers moi. L’arme lui effleura la panse et ouvrit le tissu de sa bure.
    Tremblant, le visage ruisselant de sueur, Guillot s’adossa au mur et se signa fiévreusement.
    —    Sainte Marie, mère de Dieu, haleta-t-il. Un peu plus et j’étais tranché en deux.
    —    N’aie crainte. Il faudrait au moins une hache d’armes pour traverser tout ce suif, ironisa Pernelle.
    Évitant de poser les pieds plus loin, j’observai les statues. Les onze autres avaient encore le bras tendu vers le haut et je ne doutais pas un instant qu’il s’abattrait dès que nous passerions à leur portée. Comme l’avait prophétisé Tyceline, elles défendaient l’endroit.
    —    Tu penses la même chose que moi ? m’interrogea Ugolin.
    —    Je ne vois pas comment faire autrement.
    Je me retournai vers Pernelle et Guillot.
    —    Restez ici jusqu’à ce que nous vous appelions, ordonnai-je.
    En même temps, Ugolin et moi avançâmes, notre arme
    brandie au-dessus de notre tête. À chaque pas, nous repoussâmes les coups des guerriers de pierre jusqu’à ce que nous ayons franchi les deux rangs.
    —    Au bout du compte, une fois prévenu, ce n’était pas très difficile, fit le Minervois, essoufflé.
    —    Pour qui avait une épée, précisai-je.
    Guillot et Pernelle attendaient encore dans l’embrasure de la porte. Après m’être assuré que les douze bras étaient bien abaissés et que la pointe de chaque épée reposait sur le sol, je leur criai de venir.
    —    Voyez, dame Pernelle, pontifiait le moine, visiblement remis de son émoi. Celui-ci est Pierre. Il porte l’épée et, dans l’autre main, des clés. Et voici Jean, le seul imberbe du groupe. Et Thomas, l’architecte qui tient l’équerre. Ici, Matthieu, qui était percepteur d’impôts, avec une bourse.
    En nous rejoignant, il compléta sa nomenclature des douze apôtres, qui n’intéressait que lui. Notre temps était compté et je n’avais aucune intention de le gaspiller à écouter un moine pérorer. Nous avançâmes entre les deux rangs de disciples.
    —    Regarde, dit Ugolin en me posant la main sur l’épaule. Il y a des torches aux murs. Allumons-les. Nous y verrons plus clair.
    Il avait raison. Les constructeurs avaient tout prévu. Entre chaque statue, puis à toutes les toises par la suite, une torche au bout enrobé de résine était fichée dans un socle de fer rivé au mur. Le Minervois et moi nous répartîmes et allumâmes toutes celles que nous trouvâmes. Ce que nous vîmes alors nous émerveilla au-delà des mots.
    La chapelle qui n’avait jamais vu la Lumière n’était pas une simple allégorie, comme je l’avais cru. Elle était réelle. Les fondateurs avaient construit, sous terre, une cathédrale digne de toutes celles dont Bertrand de Montbard avait pu me parler. La majestueuse voûte à arceaux était plus haute que tout ce que j’avais jamais vu. Elle était supportée par des colonnes rondes et gracieuses, magnifiquement ouvragées. Leurs chapiteaux étaient ornés de feuilles d’acanthe, de fruits et d’autres motifs que je ne connaissais pas. Le sol était couvert de dalles de marbre carrées parfaitement ajustées. Les murs étaient de pierre de taille gris pâle et les constructeurs avaient poussé l’imitation jusqu’à y aménager de fausses fenêtres en ogive dans lesquelles des scènes sculptées dans la pierre tenaient lieu de vitraux.

    —    Par les petites couilles délicates d’Innocent, fit Ugolin, la tête renversée vers l’arrière pour admirer le chef-d’œuvre des constructeurs. Ces gens ne faisaient pas les choses à moitié. Dire qu’à Montségur, nous n’avons qu’un simple temple.
    —    Pourquoi un tel travail seulement pour cacher des documents ? demanda Pernelle. Et comment ont-ils réussi à construire ceci sans attirer l’attention ? Imaginez seulement tous ces blocs de pierre qu’il a fallu descendre jusqu’ici.
    —    Sire Thibaud Payen était seigneur de Gisors, expliqua Guillot. Il faisait comme il l’entendait. C’est lui qui a dessiné les plans de la forteresse. Il a eu tout loisir de la construire selon les volontés des fondateurs. Et n’oubliez pas que, pendant trois ans, les Templiers furent les seuls responsables de la forteresse. Il ont sans doute eu le temps de compléter le travail. Et quelque chose me dit que tout s’est fait ici même : la taille des pierres, la sculpture des