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L'Etoffe du Juste

L'Etoffe du Juste

Titel: L'Etoffe du Juste Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hervé Gagnon
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l’autel pour me planter devant le linceul que Pernelle et Guillot tenaient toujours tendu devant les flammes. La lumière révélait une image irrégulière, mais bien visible et vieille de plus de mille ans, qui se détachait en tons sépia sur le tissu jauni. Sans l’avoir jamais rencontré autrement qu’en songe, cet homme, je le connaissais depuis quelques années déjà. Je l’avais d’abord vu en compagnie de dame Esclarmonde, lorsqu’elle avait ouvert la cassette d’où avait jailli la terrible lumière qui avait ébranlé le monde. Je l’avais revu, entouré de ses disciples, fêtant une victoire qu’il croyait prochaine. Puis j’avais assisté à sa mise au tombeau avant que ses fidèles ne l’emportent nuitamment. Je l’avais aussi retrouvé dans cette chapelle, sculpté dans la pierre.
    Ieschoua.
    Au début, j’eus du mal à interpréter ce qui se déployait devant mes yeux. Car, en réalité, j’avais devant moi non pas une, mais deux images : la première de face, qui occupait la partie inférieure du linceul, et l’autre de dos, la tête en bas, sur la moitié supérieure. Cela ne pouvait s’expliquer que par le fait que, lorsqu’on l’avait mis au tombeau, Ieschoua avait été allongé sur le dos sur la bande de tissu qu’on avait ensuite repliée au milieu pour la passer par-dessus sa tête et la ramener jusqu’aux pieds. L’étoffe l’avait ainsi enveloppé tout entier.
    — Baroche a peut-être fait lire le texte de Joseph d’Arimathie aux Neuf, mais de toute évidence, il ne leur a pas montré ceci, dis-je, abasourdi.
    Même délavé par le temps, l’effet était étonnant. On aurait dit un tableau peint en subtiles nuances de brun et de beige par un artiste de grand talent. La représentation était merveilleusement réaliste. Elle semblait avoir une profondeur et ses proportions parfaites donnaient l’impression qu’à tout moment Ieschoua ouvrirait les yeux et se lèverait, bien en vie.
    Comme je le savais déjà, Ieschoua était plus petit que moi, mais de bonne carrure. Il semblait dormir, le visage parfaitement serein. De chaque côté de sa tête, ses cheveux bouclés étaient drapés jusqu’aux épaules et quelqu’un semblait les avoir peignés. Sa barbe avait été soigneusement taillée et lui conférait un air digne. Je remarquai que son nez, qui tirait nettement vers la droite, avait été cassé. Un nez de guerrier, qui avait reçu sa part de coups. Les marques laissées sur le front par la couronne d’épines étaient là. La pommette droite était très enflée, la lèvre supérieure aussi. Plusieurs endroits du visage portaient les marques des coups reçus avant la crucifixion. Ses mains, larges et puissantes, couvraient ses parties intimes, la droite par-dessus la gauche. Je pouvais voir, à ses poignets, les blessures laissées par les clous qui les avaient transpercés pour leur faire supporter le poids de tout son corps sur la croix. Ses jambes étaient allongées, les genoux l’un contre l’autre, le pied gauche posé sur le droit. Là encore, les marques de la crucifixion étaient nettes. Son côté gauche avait bien été percé par une lance. La plaie était nette et le sang qui s’en était écoulé abondamment, bien visible. J’avais reçu ma part de blessures semblables et je savais que Ieschoua avait dû se vider comme une outre trouée. Je n’avais pas l’expertise de Pernelle, mais j’avais vu assez de membres fracturés pour savoir que, comme l’affirmaient la Bible et Joseph d’Arimathie, ses jambes n’avaient pas été brisées.
    L’image de dos correspondait parfaitement à celle du devant. Il s’agissait du même homme aux épaules larges et aux muscles saillants. Sur les épaules, il était facile de voir les cruelles déchirures laissées par le patibulum 2  qu’il avait été forcé de porter jusqu’au lieu de son supplice. Quant à son dos, il n’était qu’un tissu de lacérations entrecroisées, laissées par des coups de fouet si nombreux qu’il avait dû souffrir mille morts avant même d’être mené vers la croix.
    J’ignore combien de temps je restai là à fixer l’image. Même si je savais qu’il n’était qu’un homme, j’éprouvais une profonde révérence pour celui dont on avait fait un dieu. À la vue de son visage, je n’avais aucun mal à imaginer le chef convaincant qu’il avait été. Le genre d’homme courageux et prêchant par l’exemple, que les autres auraient sans doute suivi

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