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L'Etoffe du Juste

L'Etoffe du Juste

Titel: L'Etoffe du Juste Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hervé Gagnon
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plus jamais la même.
    —    Au moins, ce n’est pas ta dextre, dit Ugolin pour m’encourager. Tu pourras toujours manier l’épée. Même à une main, tu seras encore le guerrier le plus redoutable que je connaisse.
    À bout de forces, je me laissai retomber sur la paillasse.
    —    Laissez-moi.
    —    Gondemar, insista le Minervois. Allons, il n’y a pas lieu de se réjouir, mais ce n’est pas la fin du monde non plus. Pense à ce qu’a fait Montbard après avoir perdu sa jambe. Il était déjà vieux et il a réussi à remarcher, et même à combattre. Toi, tu es jeune et en santé. Et tu as entendu ce qu’a dit dame Pernelle : elle finira par bouger pas trop mal.
    —    Laissez-moi ! répétai-je.
    —    Bon. Comme tu veux.
    Ugolin me tapota amicalement l’épaule. Pernelle m’adressa un regard rempli de tendresse et de compassion. Elle soupira profondément puis, de la tête, fit signe à Ugolin de la suivre. Ensemble, ils sortirent, me laissant seul avec ce que je ne pouvais voir que comme l’acharnement du mauvais sort.
    Une main infirme m’apparaissait comme une iniquité de plus. Je ne saurais dire combien de fois je maudis Dieu de rendre encore plus difficile la tâche déjà ingrate qu’il m’avait imposée et, n’eût été que je l’avais déjà renié, je l’aurais fait sans le moindre remords. Il ne semblait pas se lasser de me tourmenter. En me privant d’une de mes mains, ne réduisait-il pas mes chances de protéger la Vérité ? Son esprit vengeur n’allait-il pas à l’encontre de ses propres intérêts ? Ou se fichait-il tout simplement du résultat ?
    Je songeais aussi beaucoup à Cécile, que j’avais revue en rêve et qui me manquait encore plus cruellement. Moult fois, je fus tenté de tout abandonner et de courir vers elle. Mais je n’en avais pas le droit. La distance qui nous séparait garantissait sa sécurité. Je l’aimais et je ne voulais que son bien. Seul mon sacrifice l’assurerait.
    Plusieurs jours s’écoulèrent avant que je puisse me tenir debout. À mesure que les forces me revenaient, je me trouvai dans des dispositions qui, sans pouvoir être qualifiées de sereines et amicales, étaient un peu plus amènes. Je finis par accepter le fait que rien n’était perdu. D’une part, j’étais droitier. D’autre part, j’avais conçu Memento pour qu’elle soit légère. Enfin, Bertrand de Montbard m’avait enseigné à combattre aussi bien à une main qu’à deux. Même privé de la double prise, je pourrais encore être redoutable. Mais je n’en serais pas moins diminué et je savais très bien qu’un guerrier devait pouvoir compter sur tous ses membres et tous ses organes. Je n’avais pas oublié que même mon maître, malgré tout son talent et son expérience, avait été rendu vulnérable par le fait qu’il était borgne. J’en avais moi-même tiré parti alors que je n’étais pas encore un homme. Et comment ne pas me rappeler ses valeureux efforts pour compenser la perte de sa jambe ? Les résultats avaient été louables, certes, mais néanmoins limités, et il n’avait plus jamais été le même homme par la suite. Je me retrouvais désormais dans une position similaire à la sienne.
    Trois fois par jour, Pernelle, qui semblait avoir abandonné les malades dans la forêt pour ne se consacrer qu’à moi, m’apportait à manger et me tenait compagnie. Elle faisait la conversation et s’efforçait d’être enjouée, ce dont je lui étais reconnaissant. Chaque matin, elle inspectait ma main avant d’y étendre un onguent épais et onctueux puis de l’envelopper dans un bandage propre. Ce traitement se révéla fort efficace et ma peau reprit graduellement un peu de souplesse, de sorte que j’arrivai bientôt à plier un peu mieux les doigts.
    —    Tu vois ? fit-elle après une semaine. Je te l’avais dit ! Elle commence à bouger.
    —    Pas l’index et le majeur. Ils se meuvent à peine.
    —    Je crois bien qu’il vaut mieux les oublier. Tu n’obtiendras pas mieux. Les nerfs et la viande à l’intérieur sont flétris.
    —    Je retrouverai un peu de force ?
    —    Sans doute. Mais la peau est tellement cicatrisée qu’elle sera toujours fragile.
    Pendant qu’elle palpait et pliait, elle me relata les événements survenus pendant ma maladie. J’appris que l’épidémie avait fini par se résorber. Les morts additionnels avaient été brûlés et, peu à peu, Mondenard reprenait vie

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