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L'Etoffe du Juste

L'Etoffe du Juste

Titel: L'Etoffe du Juste Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hervé Gagnon
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une arme redoutable, particulièrement dans un corps à corps. N’en déplaise à Dieu, elle servirait encore.
    Après avoir testé le tout à quelques reprises, je remerciai le forgeron et lui dis que je trouverais le moyen de le payer, mais il refusa net, affirmant que Mondenard devait bien plus que cela à mon amie, dame Liurada.
    J’étais passé ensuite chez le cordonnier. Je frappai jusqu’à ce que sa femme m’ouvre, à demi endormie. Lorsque je demandai à voir son mari, elle m’apprit qu’il n’avait pas survécu au feu sacré. Je lui exposai le but de ma visite et, confus, m’excusai de l’avoir dérangée. J’allais partir lorsqu’elle me retint et m’expliqua que son jeune fils avait été l’apprenti de son père et qu’il saurait sans doute répondre à mes besoins. Elle me laissa à la porte et revint peu après en compagnie d’un garçon de quatorze ans tout au plus qui, avec une gravité un peu surfaite, m’entraîna dans la boutique.
    Suivant mes directives, il me confectionna un gant dans un cuir mince mais résistant, dont la couleur s’apparentait suffisamment à celle de ma peau pour passer inaperçue de loin. Il découpa les formes et les cousit ensemble pour confectionner un gant très ajusté. Puis il pratiqua de minces fentes au bout de l’index et du majeur pour laisser passage aux lames. Lorsque j’actionnai le mécanisme, les deux griffes surgirent, menaçantes et étincelantes.
    —    Ton père t’a bien enseigné ton métier, le complimentai-je.
    —    Il était un bon cordonnier, sire, répondit-il en tentant de cacher sa tristesse.
    —    Je voudrais pouvoir te payer mais.
    —    Ma mère et moi sommes vivants grâce à dame Liurada, coupa-t-il. Nous lui devons bien plus que quelques bouts de cuir.
    Puis je revins attendre le matin, fort aise à l’idée que, pour une fois, j’avais été plus fin que mon Créateur. Après m’être lavé pour chasser l’odeur de la sueur et de la maladie, je passai le reste de la nuit à méditer sur Memento qui, avec la croix cathare que je portais dans ma chair, me rappelait chaque jour ma destinée. Les paroles de sire Ravier, lors de mon initiation, étaient à jamais gravées en moi : L’épée est l’instrument par lequel le mensonge et le Mal seront détruits. Tirée des Ténèbres de son fourreau, elle est la Lumière qui émane du Dieu du Bien et qui défend la Vérité. Tu la chériras désormais non pas comme un instrument de mort, mais de justice, une compagne fidèle et obéissante avec laquelle tu n’hésiteras pas à te lancer dans le trépas pour la Cause. Dans le contexte qui était le mien, ces mots avaient encore plus de sens. Chaque fois qu’elle avait tranché, elle m’avait ouvert un peu plus le chemin de la Vérité, même lorsque je m’étais trompé. Tu l’as forgée à la sueur de ton front et elle fait maintenant partie de toi. Souviens-toi de ce qu’elle signifie pour nous : tirée du feu, elle est la Lumière et défend la Vérité. Uses-en à bon escient. Comment l’appelleras-tu ? Je l’avais baptisée Memento. Souviens-toi. Car je ne devais jamais oublier. Le mal que j’avais fait. La damnation qui s’en était suivie. L’importance de la Vérité. La mission de l’Ordre des Neuf, dont j’étais le Magister. Et la chance, si infime soit-elle, de sauver mon âme. La perte de ma senestre n’était rien en comparaison de tout cela. Les bons chrétiens avaient raison : la chair était sans importance.
    Mon arme reposant de façon réconfortante sur ma hanche, enveloppé dans une capeline de laine qu’on m’avait fournie, flottant un peu dans mes vêtements tant j’avais maigri durant ma maladie, j’eus l’impression de sortir de prison en quittant la maison où j’avais une fois de plus frôlé la mort. Je constatai qu’octobre avait bel et bien succédé à septembre. Les couleurs de l’automne s’annonçaient déjà autour du village et le fond de l’air était agréablement frais. Ayant fermenté depuis trop longtemps dans les miasmes de la maladie, je fermai les yeux et en inspirai profondément quelques goulées qui me revigorèrent.
    Ce qu’il restait d’habitants à Mondenard avait recommencé à s’activer, essayant sans doute d’oublier l’épidémie en se lançant à corps perdu dans l’activité quotidienne pour se reconstruire une vie. Des femmes puisaient de l’eau. Le marteau du forgeron émettait ses premiers tintements de la journée.

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