L'Etoffe du Juste

Au loin, on menait les moutons aux champs. Je constatai que la maladie avait continué à faire des ravages durant mon isolement, car, en plus de la maison que j’avais moi-même incendiée, il s’en trouvait maintenant deux autres, réduites à l’état de ruines calcinées.
    Je me rendis au centre du village et j’y trouvai Ugolin, qui avait déjà tout préparé. Nos trois montures étaient sellées et chargées de provisions. Sauvage m’aperçut le premier et, comme à son habitude, s’ébroua joyeusement en m’apercevant. Je m’avançai et lui caressai le museau de ma main valide tout en conversant avec le Minervois.
    —    Tout est prêt ? lui demandai-je.
    —    Nous pourrons partir dès que dame Pernelle sera arrivée. Elle a insisté pour examiner une dernière fois tous les habitants avant notre départ.
    —    Tous ?
    —    Tu la connais, dit-il en haussant les épaules, impuissant.
    Lorsque mon amie parut enfin, son coffre sur les bras, elle
    avait le pas encore plus traînant qu’à l’habitude et il me suffit d’un regard pour comprendre qu’elle n’avait pas dormi de la nuit, elle non plus. Elle se planta devant moi et m’inspecta de la tête aux pieds, une moue critique sur les lèvres. Son regard s’attarda sur ma senestre gantée, mais elle ne dit rien.
    —    Tu es bien pâle, décréta-t-elle.
    —    Pas plus que toi, contrai-je.
    —    Hrmmmmph. ronchonna-t-elle, à court de réplique.
    —    Alors, tu es prête ?
    —    Dès que mon coffre sera chargé.
    Ugolin se précipita pour lui retirer l’objet des bras et se mit en frais de l’attacher à la selle. Il saisit une sangle de cuir, la passa dans une des poignées du coffre, puis dans un anneau de métal fixé à la selle. Une fois le nœud bien solide, il tenta d’en faire autant avec l’autre poignée, mais la courroie s’avéra trop courte.
    —    Tudieu, pesta-t-il, je l’ai attachée trop près du centre.
    Il s’apprêtait à la détacher lorsque je m’approchai.
    —    Tends-la bien.
    —    Pourquoi ?
    —    Fais ce que je te dis.
    Perplexe, le géant obtempéra. Il saisit l’extrémité de la courroie et la tira.
    —    Recule-toi.
    Je secouai sèchement la main vers le bas et, sous le regard ébahi d’Ugolin, les deux lames émergèrent du gant. D’un geste vif, je tranchai la sangle, dont une bonne longueur lui resta dans les mains.
    —    Putain de Dieu, murmura-t-il, les yeux écarquillés par la stupéfaction et l’envie. Que voilà un beau jouet.
    —    Je l’ai fait fabriquer cette nuit. Dans les circonstances qui sont les nôtres, ça peut toujours être utile.
    —    Plutôt deux fois qu’une, oui ! Tu me donnes envie de perdre l’usage d’une main !
    —    C’est presque aussi brillant que la jambe que tu as fabriqué pour Montbard, non ? le taquinai-je.
    —    C’est mille fois mieux !
    Je me retournai vers Pernelle, qui avait observé la scène.
    —    Qu’en penses-tu ?
    —    C’est. créatif, se contenta-t-elle de dire, elle que les armes dégoûtaient toujours autant. Une façon de plus d’occire ton prochain.
    Ugolin utilisa le bout de courroie que j’avais coupé pour finir d’attacher le coffre, et nous nous mîmes en chemin. Nous étions arrivés à l’orée du village, là où nous avions été accueillis par le mourant qu’Ugolin avait enseveli au risque de sa vie, et allions quitter Mondenard lorsqu’un cri nous arrêta.
    —    Attendez !
    J’aperçus Estève qui accourait dans notre direction. Il s’arrêta près de nous, essoufflé.
    —    Vous nous quittez. dit-il avec un regret évident en fixant Pernelle.
    Je savais qu’il s’était attaché à Pernelle. Il l’avait accompagnée depuis le début dans son service auprès des malades, et il avait conçu pour elle une admiration sans bornes.
    —    Comme tu vois, répondis-je.
    —    Il y a de la place à Mondenard. Si vous cherchez un endroit où vivre. Et nous n’avons plus de Parfait.
    Pour la forme, je consultai Pernelle et Ugolin du regard. Ils avaient beaucoup donné pour moi et je ne pouvais pas leur refuser le droit de rester s’ils le souhaitaient. Mais, sans hésitation, les deux firent non de la tête.
    —    Nous devons partir, déclara mon amie.
    —    Je comprends, répondit-il, visiblement déçu. Alors je vous remercie pour tout. Sans vous, dame Liurada, Mondenard serait en bien pire état. Et