Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'Etoffe du Juste

L'Etoffe du Juste

Titel: L'Etoffe du Juste Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hervé Gagnon
Vom Netzwerk:
journée entière, aussi vite qu’il était possible sans épuiser nos montures, mangeant à la sauvette pendant qu’elles s’abreuvaient.
    Malgré de valeureux efforts, nous dûmes toutefois nous avouer vaincus devant des adversaires beaucoup plus petits, mais tout aussi féroces que les croisés. Après une journée entière à nous gratter, nous n’eûmes d’autre choix que de prendre un long bain dans l’eau glacée d’une rivière, comme l’exigeait Pernelle, et d’y laisser nos vêtements tremper toute la nuit. Quant à nos cheveux, mon amie, dont le coffre recelait des ressources aussi variées qu’inépuisables, en prit soin en faisant chauffer du vinaigre qu’elle répandit sur nos têtes avant de les envelopper dans un linge que nous dûmes porter plusieurs heures durant, au prix d’un profond sentiment de ridicule qu’elle envenima en riant de nous à gorge déployée, même si elle était pareillement équipée. Au matin, nous repartîmes, grelottant dans nos vêtements encore humides, mais exempts de vermine. L’épisode, bien que fort déplaisant, eut l’avantage de nous confirmer que nous n’étions pas suivis par les troupes de Cahors.
    Il nous fallut une dizaine de jours pour franchir sans inquiétudes les quarante-trois lieues qui séparaient Cahors de Limoges. Nous jugeâmes plus prudent de dormir à la belle étoile, bien enroulés dans nos couvertures, mais sans feu. Ainsi, nous ne risquions pas de rencontrer l’ennemi, humain ou insecte. Nous évitâmes Souillac, Brive et Tulle, préférant suivre de petits sentiers écartés qu’Ugolin connaissait bien. Nous passâmes par de petites bourgades souvent anonymes où nous ne nous arrêtâmes que le temps de nous procurer quelques provisions et de glaner des informations. Si nous obtînmes aisément les premières, nous nous retrouvâmes plutôt à transmettre les secondes. Nous étions en effet en avance sur tous les messagers et les habitants se tournaient vers nous, avides de nouvelles. Je regrettais de leur causer des angoisses contre lesquelles ils ne pouvaient rien, la plupart des hameaux étant dénués de murailles et totalement vulnérables.
    Au fil des jours, je sentis un changement graduel chez les gens que nous croisions. Depuis Cahors, l’influence des Bons Chrétiens et de leur religion me semblait s’amenuiser. Non point qu’il n’y avait que des bonshommes dans le Sud. À Béziers, chrétiens et hérétiques avaient été assassinés avec la même ferveur par les croisés. Dans toutes les villes, il s’était trouvé des tenants de la foi de l’Église, souvent plus nombreux que les cathares, mais ils avaient cohabité sans heurts jusqu’au début de la croisade. Je m’ouvris de mon impression à Ugolin, qui m’expliqua que nous nous approchions des limites du Nord et que, par conséquent, les chrétiens constituaient le plus souvent la majorité de la population, mais que les deux vivaient en paix.
    Un midi, le Minervois immobilisa sa monture et désigna une cité à l’horizon.
    — Limoges, annonça-t-il. Encore une quinzaine de lieues et nous serons chez les Français. Tu veux faire un arrêt ?
    Mon cœur se serra à l’idée que, après plus de deux ans de folie, je serais bientôt de retour chez moi, dans le Nord. Je repensai à Rossal et à la ville dont j’avais fréquenté la foire. Au fond, c’était tout ce que je connaissais du royaume de Sa Majesté Philippe II Auguste. La fébrilité que j’éprouvais était contrebalancée par une profonde angoisse. J’allais devoir affronter une fois de plus ma destinée. Ma terre natale serait peut-être aussi le lieu de mon dernier repos.
    — Non, répondis-je, contournons-la. Il est plus que temps de mettre le Sud derrière nous. Allez.
    Nous nous remîmes en route. Je ne pouvais savoir alors que le Nord m’emporterait dans un tourbillon qui me ferait descendre dans les profondeurs de mon être.
    Ce soir-là, je brûlai le sauf-conduit que m’avait donné Roger Bernard. Une fois dans le Nord, il ne serait plus qu’un stigmate qui risquait de nous conduire tout droit à la mort.
    Je ne sais si j’avais anticipé que les cieux s’entrouvriraient pour jeter la Lumière divine sur moi, tel Moïse devant la Terre promise, ou que les trompettes des anges résonneraient pour souligner mon retour, mais la transition entre le Sud et le Nord s’avéra décevante. Elle se fit sans que rien de remarquable ne se produise. Une partie de moi fut néanmoins

Weitere Kostenlose Bücher