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L'Etoffe du Juste

L'Etoffe du Juste

Titel: L'Etoffe du Juste Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hervé Gagnon
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poussant à nous gratter jusqu’au sang en maudissant tous les saints du ciel et à nous donner à nous-mêmes de retentissantes claques qui étaient généralement sans effet, sinon d’écraser un de nos tortionnaires, aussitôt remplacé par une armée de ses congénères.
    De fort mauvaise humeur, nous redescendîmes au rez-de-chaussée pour attraper un peu de pain et de fromage avant de partir, et joignîmes nos grattements énergiques à ceux des autres, dont je comprenais maintenant le tourment. Nous mangions en silence, pressés de fuir cet endroit, lorsque je notai un attroupement autour d’une table. Un groupe des clients de la veille, certains assis, d’autres debout, entourait un homme qui parlait à voix basse. De la tête, je désignai l’attroupement à Ugolin, intrigué. D’un commun accord, nous nous levâmes tous trois pour nous joindre au groupe.
    L’objet de tout cet intérêt était un grand blond d’une trentaine d’années aux cheveux longs et sales qui pendaient librement, et à la barbe clairsemée. Il avait les yeux cernés et semblait ne pas avoir dormi depuis des jours. L’état poussiéreux de ses vêtements confirmait qu’il avait chevauché sans pause pendant longtemps. Mais il s’exprimait avec une intensité qui faisait briller son regard et il gesticulait fort, visiblement ravi par l’attention qu’il suscitait.
    —    Oh, mais depuis plusieurs jours déjà, répondit-il avec grandiloquence à une question qui lui avait été posée. Certains sont partis voilà plus d’une semaine. Ils passeront par ici très bientôt.
    —    Tudieu, dit un homme, en blanchissant visiblement. J’ai des étoffes à livrer à Toulouse, moi. Je ne peux me terrer ici jusqu’à ce qu’ils soient passés pendant que les autres font de bonnes affaires.
    —    Et mes épices, se plaignit un autre. Elles doivent être là avant la fin de la semaine, sinon je perdrai ma vente.
    Tous ceux qui se tenaient autour de la table donnèrent leur assentiment, clairement contrariés par la nouvelle. Désirant savoir de quoi il retournait, je donnai un coup de pied discret sur le mollet d’Ugolin, qui sursauta un peu et comprit ce que je désirais.
    —    De quoi parles-tu donc, mon ami ? s’enquit-il.
    —    Des croisés, tiens, rétorqua l’autre, qui semblait se demander de quel cloître nous sortions. Les seigneurs du Nord et leurs hommes ont terminé leur quarantaine. En ce moment même, ils retournent dans leurs terres, les bras chargés de tout ce qu’ils ont pu voler. Le printemps prochain, ils feront le chemin inverse pour revenir se remplir les poches à nouveau, les brigands. Et, au nom de Dieu, ils feront rôtir quiconque aura la folie de se placer sur leur chemin.
    —    Ils sont en route, dis-tu ? Sont-ils nombreux ?
    —    Un bon millier d’hommes. Chaque seigneur du Nord voyage avec ses propres troupes. Comme d’habitude, les hommes de Montfort sont demeurés auprès de lui à Carcassonne pour l’hiver.
    —    Et tu crois qu’ils vont passer par ici ?
    —    Ils n’ont guère le choix. Je suis rentré de Toulouse cette nuit et je n’avais pas une journée d’avance sur eux. Je suis arrivé juste à temps pour que Cahors ferme ses murailles, au cas où l’envie prendrait aux croisés de s’offrir un pillage et un massacre au passage.
    À cette nouvelle, je me crispai. Non seulement l’ennemi avançait, mais il était beaucoup plus près que je ne l’avais cru. Si je ne me pressais pas, il me barrerait la route vers Gisors.
    Je n’avais pas oublié les paroles que Métatron avait prononcées pendant ma maladie : En ce moment même, la seconde part de la Vérité est en danger, au milieu de ses ennemis ! Crois-tu qu’ils ne la cherchent pas ? Depuis ma résurrection, mes rêves n’avaient jamais été anodins et je ne doutais pas que je devais considérer celui-ci comme prophétique. Inconsciemment, je portai la main à la croix cathare sur mon épaule gauche. Elle n’était là que pour me rappeler que je n’existais encore que par la volonté de Dieu, pour remplir la mission qu’il m’avait imposée.
    Je fis un signe de la tête à Ugolin et nous nous éloignâmes sans que les autres, fascinés par le récit qui avait repris, n’accordent d’attention à notre départ. Je n’avais pas à m’expliquer. Pernelle et lui saisissaient aussi bien que moi le sérieux de notre situation. Je ramassai en vitesse ce qu’il nous restait de

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