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L'Etoffe du Juste

L'Etoffe du Juste

Titel: L'Etoffe du Juste Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hervé Gagnon
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surprise que le retour dans le royaume du roi Philippe soit à ce point anodin. Rien dans le paysage ne démarquait le pays des hérétiques de la France chrétienne, fille aînée de l’Église. Aucune frontière visible ne fut franchie. Aucun poste de garde ne barra notre chemin. Aucune preuve d’admission ne fut requise. Nos montures firent simplement un pas de plus et nous fûmes dans le Nord.
    Octobre tirait à sa fin. Le vent froid qui soufflait dès que nous quittions la protection des forêts, traversait les capelines dans lesquelles nous nous enveloppions. Ugolin, habitué au temps chaud du Sud, grelottait comme une vieillarde, ce qui en faisait l’objet de mille taquineries qu’il recevait, comme toujours, avec patience et humour. De temps à autre, une averse rendait les conditions encore plus exécrables, forçant nos chevaux à patauger dans la boue et détrempant nos vêtements. Nous progressions lentement. Ugolin et moi ne nous privions pas de maugréer, alors que Pernelle, elle, affichait toujours la même résignation tranquille.
    Après quelques jours de ce régime, notre humeur déjà massacrante fut encore minée par le boitement soudain de Sauvage. Un examen de sa patte avant droite nous confirma qu’il avait perdu un fer, sans doute aspiré par la boue. Cette démarche banale me fit constater pour la première fois les limites que m’imposait ma main sans force. Ne pouvant à la fois tenir la patte de la bête et nettoyer le sabot avec ma dague, j’eus besoin de l’aide d’Ugolin, qui fit preuve de prévenance en me l’offrant avant que je la demande. Pourtant, je n’avais de cesse de fermer et d’ouvrir le poing pendant nos chevauchées, espérant redonner à ma senestre force et flexibilité. Visiblement, malgré quelques progrès, je serais estropié jusqu’à la fin de mes jours.
    À l’évidence, nous ne pouvions pas continuer notre route avec une monture boiteuse. Sauvage devait être ferré sans tarder. C’est donc à pied, sous la pluie battante, dans un chemin boueux qui rendait chaque pas difficile, que nous continuâmes, à la recherche d’un forgeron. Après le temps perdu à Mondenard, j’étais fort contrarié de devoir encore m’arrêter, à plus forte raison puisque nous étions maintenant dans le Nord. J’avais conscience que tout arrêt augmentait le risque d’attirer l’attention. Bien sûr, au dire de l’aubergiste de Cahors, on me croyait mort. Mais je n’en avais pas l’absolue certitude et je préférais demeurer prudent. Ma chevelure rousse et ma taille me rendaient aisément reconnaissable et, après tout, pour les gens du Nord, j’étais le croisé qui avait trahi la cause de Dieu et qui avait lutté contre ses frères. Mon parcours et mes succès étaient bien connus. Quiconque me mettrait la main au collet serait trop heureux de me livrer à Montfort ou même de m’occire sans attendre. J’allais néanmoins devoir côtoyer des habitants qui pourraient m’identifier. Je n’avais guère le choix, si je ne voulais pas me rendre à Gisors en marchant.
    Même soulagé du poids de son cavalier, Sauvage peinait et ses boitements étaient de plus en plus prononcés, ce qui m’inquiétait beaucoup. Après deux journées entières de ce régime de misère, aggravé par des nuits passées à la pluie battante sans même le réconfort d’un feu et par l’épuisement de nos provisions, un petit hameau se profila enfin à l’horizon. La pluie avait cessé, mais nous étions trempés et affamés. Nous nous immobilisâmes à bonne distance, à l’abri d’arbres, pour l’observer de loin, habitués que nous étions à ne pas nous lancer à l’aveuglette dans la gueule du loup. Il s’agissait d’une pauvre bourgade composée d’une vingtaine de maisons disposées en cercle autour d’une petite place. Dans le ciel matinal enfin dénué de nuages, des colonnes de fumée montaient de plusieurs cheminées et, çà et là, nous vîmes quelques individus qui vaquaient à leurs tâches. Mais nous ne remarquâmes rien qui, de prime abord, fût de nature à nous alarmer.
    —    M’est avis que ces gens se méfieront d’étrangers en provenance du Sud, remarqua Ugolin en se frottant la barbe.
    —    Alors mieux vaut être du Nord.
    Je fouillai dans mes bagages et en sortis la cotte de mailles, les gants et le heaume fournis par Roger Bernard, et les revêtis.
    —    Ils feront sans doute davantage confiance à des soldats de retour de la

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