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L'Etoffe du Juste

L'Etoffe du Juste

Titel: L'Etoffe du Juste Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hervé Gagnon
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autant.
    —    La seule fois qu’il m’a vu, j’étais encore enfant, contrai-je.
    —    Il semblait avoir un don particulier pour lire dans les gens. S’il pouvait dire qui forniquait avec qui et qui était un filou juste en les regardant, pourquoi ne pourrait-il en faire autant en te croisant après toutes ces années ?
    —    Tu as sans doute raison, mais.
    —    Le garçon a grandi sans sa mère, insista-t-il. À quoi lui servirait de la retrouver maintenant ? Ne vaut-il pas mieux pour lui de rester dans l’ignorance ?
    —    Tu ne comprends rien au cœur d’une mère, Jaume.
    —    Peut-être, mais je sais évaluer les risques. Et cette situation en présente trop pour me plaire.
    —    Je prends bonne note de tes objections. Rentrons, soupirai-je.
    Nous nous rassîmes dans l’abri et je plongeai mes yeux dans ceux, mouillés, de mon amie. Je savais pertinemment qu’elle avait décidé que ces retrouvailles auraient lieu, quoi qu’il advienne, et que ni Dieu ni diable ne l’empêcheraient de revoir son fils. Mon interdiction aurait autant d’effet que de l’eau sur le dos d’un canard. Et puis, de quel droit pouvais-je l’en priver ?
    —    Pernelle, dis-je avec douceur. Il vaudrait mieux que tu ne voies Odon que de loin. Il pourrait me reconnaître. Jaume est du même avis que moi.
    —    Tu n’y penses pas ! se lamenta-t-elle. Je veux le toucher, le sentir. C’est mon enfant, Gondemar. La chair de ma chair. Comment pourrais-je me contenter de l’observer à distance après toutes ces années, alors que je le croyais mort ?
    —    Pernelle. plaidai-je, incapable de supporter son désespoir.
    —    S’il le faut, je tairai qui je suis, insista mon amie, pour influencer ma décision.
    Je hochai la tête, vaincu, et maudis la conscience dont Métatron m’avait affligé.
    —    Très bien, acceptai-je en me levant pour sortir de l’abri de fortune. Laisse-moi voir ce que je peux faire. Je trouverai un moyen, je te le promets.
    Pernelle me saisit les mains et les embrassa avec ferveur, ses larmes tombant sur ma peau.
    —    Merci, Gondemar, merci.
    —    Cesse, dis-je en les retirant, mal à l’aise.
    Troublé, je sortis. Dehors, la neige s’épaississait et le vent la faisait tourbillonner, de sorte qu’on voyait à peine devant soi. Jaume avait raison : la tempête s’était levée et en aucun cas nous ne pourrions repartir au matin. Nous étions à Rossal pour une journée au moins. Amplement de temps pour que la situation tourne au vinaigre.
    En chemin, je réfléchis à la façon de tenir ma promesse à Pernelle.
    Je retournai à l’étable pour y rejoindre le jeune Montfort. Une fois sur place, j’attachai Sauvage près de la porte, sortis ma couverture de mes bagages puis jetai un coup d’œil nostalgique sur le bâtiment. Hormis le mur neuf, il n’avait pas changé. J’ouvris la porte et entrai dans mon passé.
    Tous ceux qui s’y trouvaient dormaient à poing fermés et, en d’autres circonstances, le concert de ronflements produit par la vingtaine d’hommes m’aurait fait sourire. L’intérieur était éclairé par quelques lampes à huile, laissées allumées par mesure de sécurité. Je refermai derrière moi. Des barils semblables à ceux sur lesquels je m’étais esquinté l’échine à tant de reprises sous la férule rigide de Bertrand de Montbard étaient empilés dans un coin. Nos masses d’armes et nos arbalètes étaient encore accrochées au mur, là où il les avait laissées. Elles étaient rouillées faute d’entretien et j’en eus un pincement au cœur.
    J’enjambai quelques dormeurs et m’approchai pour les caresser du bout des doigts, comme pour m’assurer qu’elles étaient réelles. Au fond se trouvaient les stalles où les chevaux étaient jadis abrités. Je humai l’air et, malgré la puanteur des hommes mal lavés qui étaient allongés un peu partout dans le foin, l’odeur de paille était la même. Tout me rappelait mon maître. Toute sa vie n’avait été que sacrifice. D’abord pour la Vérité, puis pour moi, et ultimement pour Pernelle. J’eus fort à faire pour refouler la boule qui me remontait dans la gorge.
    Je trouvai sire Guy assis dans la stalle la plus éloignée de l’entrée. Il était adossé au mur du fond, enroulé dans sa couverture et dodelinait de la tête. Visiblement, il n’avait pas osé s’endormir, mais son corps avait fini par céder. Je lui jetai un

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