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L'Etoffe du Juste

L'Etoffe du Juste

Titel: L'Etoffe du Juste Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hervé Gagnon
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Elle était éclaboussée de sang vermeil et de glaires verdâtres. Le stratagème que j’avais en tête devenait plus nécessaire encore.
    Quand il ressortit du manoir, seul, j’allai à sa rencontre. Malgré mon crâne encore presque nu et ma barbe abondante, je remontai mon capuchon pour masquer le plus possible mon visage. Il marchait la tête basse en toussant de temps à autre, titubant tous les trois ou quatre pas, et il ne me remarqua pas avant que je lui saisisse le bras. Même dans son état de faiblesse, il sursauta.
    —    Ne crains rien, dis-je d’un ton calme. Je ne te veux pas de mal.
    Odon regarda anxieusement de tous les côtés, pour s’assurer qu’on ne le voyait pas discuter avec un croisé ou parce que je lui faisais peur, je ne saurais dire.
    —    Tu tousses comme un pestiféré, mon garçon, poursuivis-je. Tu as besoin de soins. Viens avec moi. Je connais quelqu’un qui peut t’aider.
    Il me fixa et, de sous mon capuchon, j’observai ses yeux. Ils avaient encore quelque chose de ceux du petit garçon rêveur et enjoué que j’avais connu et que j’avais si bêtement jalousé, mais la soumission et la maladie les avaient éteints. Je détournai un peu la tête, de peur qu’il ne reconnaisse les miens.
    —    Je. je me sens bien, je vous l’assure, sire, protesta-t-il d’une voix cassée et enrouée avant de se mettre à toussoter.
    —    Ne dis pas de bêtises, tu craches le sang et tu râles plus que tu ne respires, insistai-je. Un vrai soufflet de forge. Encore quelques jours et tu ne pourras plus te tenir debout.
    —    Dieu me guérira ! protesta-t-il.
    —    Mon cul ! Dieu te laissera crever !
    —    Je dois retourner auprès de l’Envoyé, dit-il d’un ton suppliant.
    —    Qui ?
    —    L’Envoyé.
    —    C’est comme ça que Gerbaut se fait appeler, maintenant ? demandai-je, contenant mal mon courroux.
    Odon me toisa comme si j’avais proféré le pire des blasphèmes.
    —    Il porte la parole de Dieu, sire ! protesta-t-il avec ferveur. Il est le dernier des prophètes ! Le successeur d’Isaïe, de Jérémie, de Daniel, d’Ézéchiel et du Baptiste ! Il a été envoyé par Dieu et après lui viendra l’Apocalypse. Les hommes seront jugés et il nous ouvre la voie du salut éternel !
    —    Grand bien t’en fasse. Mais si tu veux l’entendre encore longtemps, ton prophète, il vaudrait mieux ne pas mourir. Viens, te dis-je. Qu’as-tu à perdre ? M’est avis que si quelqu’un pouvait faire quelque chose dans ce village, toute la population ne serait pas en train de vomir ses poumons. Non ?
    Odon se mordilla les lèvres, indécis, mais il était trop faible pour s’opposer à moi. Il scruta les alentours pour s’assurer que personne ne l’observait, puis hocha timidement la tête.
    Nous nous mîmes en marche et, à quelques reprises, je dus le soutenir pour l’empêcher de s’effondrer. À bout de forces, le pauvre garçon avait peine à avancer. Ensemble, nous sortîmes du village. Ponctuellement, nous dûmes nous arrêter pour lui permettre de tousser. Lorsqu’il s’effondra enfin, je le ramassai et le portai dans mes bras. Il ne pesait guère plus qu’un fétu de paille et je pouvais sentir les os à travers ses vêtements. Arrivé à l’abri de fortune de mes compagnons, j’appelai Pernelle.
    La tête de mon amie apparut dans l’ouverture. Dès qu’elle vit mon fardeau, ses yeux s’exorbitèrent et ses lèvres se mirent à trembler imperceptiblement. À son honneur, elle parvint à contenir la puissante émotion qui s’était emparée d’elle.
    —    Ce jeune homme est très mal, expliquai-je en remettant Odon sur ses pieds.
    Comme s’il n’avait attendu que cela, le garçon se mit à tousser comme un perdu et une écume rougeâtre se forma à la commissure de ses lèvres. Pernelle surgit et lui tâta le front avec une infinie douceur.
    —    Il est brûlant, dit-elle, étendons-le à l’intérieur.
    Je portai le garçon à demi conscient jusqu’à l’entrée de l’abri, où Ugolin et Jaume l’empoignèrent pour l’aider à entrer. Puis ils sortirent pour laisser Pernelle agir.
    —    C’est son fils ? demanda le Minervois, d’un ton plein de compassion.
    Je hochai la tête. En silence, nous attendîmes, trop pudiques pour être témoins des retrouvailles aussi inattendues qu’inespérées de la mère et du fils. Après une demi-heure, elle sortit.
    —    Il doit rester

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