L'Étreinte de Némésis
Iaia que tu étais
blessé et seul dans les bois. Je pourrais dire tout ce que j’ai à dire en ce
moment. »
Je
l’entourai de mes bras pour le dissimuler à la vue des autres. Il frissonna
contre moi. Je levai les yeux et vis qu’Olympias et Alexandros souriaient de
nous voir réunis. Iaia souriait aussi, mais son regard était triste. Je relâchai
Eco. Tandis qu’il se tournait vers la mer pour se composer le visage, je lui
pris des mains le manteau ensanglanté.
— Voici
la chose importante maintenant : nous avons le manteau !
Alexandros
fit un pas en avant.
— S’il
existe un seul moyen d’empêcher Crassus de tuer les esclaves…
— Peut-être,
dis-je, en essayant de me concentrer. Peut-être…
— Jamais
je ne serais resté si longtemps dans cette grotte, si j’avais su ce qui se
passait. Tu n’aurais pas dû me le cacher, Olympias, même pour me sauver.
Olympias
regarda le visage d’Alexandros, le mien puis à nouveau celui du jeune Thrace.
— Tu
ne me laisseras pas, dit-elle tranquillement. Je t’accompagnerai. Quoi qu’il
arrive, je dois être là.
Alexandros
s’avança pour l’embrasser, mais cette fois ce fut elle qui recula.
— Si
c’est indispensable, nous devons partir immédiatement, dit-elle. Le soleil est
haut. Les jeux risquent d’avoir déjà commencé.
Mon
bandage intrigua l’esclave qui amena nos chevaux. Quand il vit Alexandros, il
laissa s’échapper un soupir d’étonnement et pâlit. Iaia et Olympias avaient
tout fait pour cacher la présence du jeune homme. Iaia ne se préoccupa pas d’exiger
que son esclave se taise. Bientôt toute la baie saurait que le Thrace en fuite
était toujours là.
— Iaia,
tu viens ? demanda Olympias.
— Non.
Je suis trop vieille et trop lente, répliqua Iaia. Je vais me rendre à la villa
à mon propre rythme et j’y attendrai des nouvelles.
Elle
s’approcha de ma monture et me fit signe de me pencher. Puis elle me chuchota
doucement à l’oreille :
— Tu
es sûr de toi, Gordien ? Tu sais comment affronter Crassus… Faire face au
lion dans sa cage…
— Je
n’ai pas d’autre choix, Iaia. Les dieux m’ont fait ainsi.
Elle
hocha la tête.
— Oui,
nous recevons nos dons des dieux. Ensuite ils ne nous laissent pas d’autre choix
que de les utiliser. Nous pouvons blâmer les dieux pour beaucoup de choses.
Elle
baissa la voix :
— Mais
il y a une chose, je pense, que tu devrais savoir : les dieux n’ont pas
fait de ton fils un muet.
J’étais
perplexe.
— La
nuit dernière, je suis venue le voir plusieurs fois, il dormait profondément.
Il ne cessait de t’appeler dans son sommeil.
— Que
veux-tu dire ? Il m’appelait ? Il parlait ?
— Aussi
clairement que je te parle maintenant, chuchota-t-elle. Il appelait « Papa !
Papa ! ».
Je
me redressai sur ma selle et regardai Iaia, dérouté. Elle n’avait aucune raison
de me mentir. Il n’y en avait pas davantage pour qu’elle se soit trompée. Mais
comment était-ce possible ? Je me tournai vers Eco. Il me regardait d’un
air sombre.
— Qu’attendons-nous ?
s’impatienta Olympias.
Maintenant
qu’elle avait pris sa décision, elle ne voulait plus perdre de temps. En
revanche, Alexandros semblait perdu dans ses pensées. Le doute obscurcissait
son visage. Puis soudain il prit le masque de la parfaite soumission à la
volonté des dieux, que tout bon stoïcien aurait envié.
Après
avoir dit adieu à Iaia, notre petit groupe s’éloigna.
Nous
franchîmes le bois du lac Averne et émergeâmes sur la haute crête ventée
surplombant le lac Lucrin et le camp de Crassus. Partout dans la plaine, on
voyait des panaches de fumée s’élever au-dessus des tournebroches et des fours.
A travers la brume, j’apercevais la grande cuvette de l’arène en bois remplie
de spectateurs. Ils étaient accourus en masse pour se régaler la vue et
éprouver des émotions fortes pendant les jeux funéraires. A une telle distance,
les visages n’étaient pas discernables. On ne voyait que les taches colorées
des vêtements les plus éclatants que les spectateurs avaient revêtus pour cette
journée de liberté. Puis nous entendîmes le fracas des glaives contre les
boucliers. La foule rugissait.
— Apparemment,
les gladiateurs combattent encore, dis-je en plissant les yeux pour tenter de
voir ce qui se passait dans l’enceinte.
— Alexandros
a une vue d’aigle, dit Olympias. Que vois-tu, Alexandros ?
— Oui,
ce sont
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