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L'Étreinte de Némésis

L'Étreinte de Némésis

Titel: L'Étreinte de Némésis Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Steven Saylor
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chair de
poule. En me promenant, je me laissai insidieusement attirer vers la porte
située au milieu du pont, celle qui donnait accès au cœur de la galère.
    Curieusement,
un homme peut voguer sur de nombreux navires au cours de sa vie, sans jamais se
demander vraiment comment ils se déplacent. Mais c’est ainsi que la plupart des
gens vivent : ils mangent, s’habillent, vaquent à leurs activités, sans
jamais avoir une pensée pour la sueur des esclaves qui ont moulu le blé, tissé
leurs vêtements et pavé les routes. Et ils ne s’interrogent pas davantage sur
le sang qui réchauffe leur corps ou l’humeur qui protège leur cerveau.
    Je
franchis la porte et me retrouvai rapidement au bas des marches. Instantanément
une vague de chaleur me balaya le visage, moite, étouffante, comme de la vapeur
d’eau bouillante. Je percevais le martèlement sourd du tambour. Je sentis les hommes
avant de les voir. Toutes les odeurs humaines possibles étaient concentrées
dans cet espace fermé. On aurait dit l’haleine de démons s’élevant de gouffres
sulfureux. Je fis un pas de plus dans un monde de morts vivants. Il était
difficile d’imaginer que la gueule d’Hadès ouvrît sur un univers plus
terrifiant que celui-là.
    L’endroit
ressemblait à une longue et étroite caverne. Ici et là, des lampes suspendues
au plafond projetaient une lumière pâle sur les corps nus et blafards des
rameurs. D’abord, dans la pénombre, je ne distinguai que des ondulations tout
autour de moi, comme des grouillements de vers. Mais à mesure que mes yeux s’habituaient,
je découvris lentement les détails.
    Au
centre et sur toute la longueur de la cale courait une étroite passerelle,
comme un pont suspendu. De chaque côté, les esclaves étaient disposés en
gradins, sur trois rangs. Ceux qui occupaient la rangée contre la coque
pouvaient rester assis en permanence. Ils disposaient de rames plus courtes qui
exigeaient moins d’efforts. Les bancs de la rangée du milieu étaient légèrement
plus hauts. Chaque fois qu’ils tiraient les rames en arrière, leurs occupants
devaient s’arc-bouter sur leurs repose-pieds. Puis, ils devaient se soulever
pour repousser les rames vers l’avant. Enfin, les derniers, les plus
malchanceux, se trouvaient debout sur la passerelle centrale. Ils avançaient d’avant
en arrière pour pousser leurs rames en un grand mouvement circulaire. En pleine
extension, ils se dressaient sur la pointe des pieds, puis ils tombaient à
genoux et basculaient en arrière pour ressortir les rames de l’eau. Chaque
esclave était entravé à sa rame par une petite chaîne rouillée fixée aux
poignets.
    Ils
étaient des centaines, serrés les uns contre les autres. On aurait dit du
bétail dans un enclos. Mais là les animaux sont libres de leurs mouvements.
Chaque homme était comme le rouage minuscule d’une machine qui ne s’arrête
jamais. Et ils avançaient au rythme du tambour.
    Je
me retournai pour regarder le batteur à la poupe. Assis sur un petit banc, il
devait se trouver juste en dessous de mon lit. Il avait les jambes écartées, et
ses genoux serraient le bord d’un tambour beaucoup plus large que haut. Autour
de chaque main étaient enroulées des lanières à l’extrémité desquelles se
trouvait une boule de cuir. Alternativement, l’homme levait ses mains et
laissait retomber les boules sur la peau du tambour. A chaque coup donné, une
vibration sourde envahissait l’air chaud et dense. En regardant mieux, je vis
que le batteur avait les yeux fermés et qu’un petit sourire errait sur ses
lèvres. On aurait dit qu’il rêvait. Mais jamais le rythme ne faiblissait.
    A
côté de lui, un autre homme était debout. Habillé comme un soldat, il tenait un
long fouet dans sa main droite. En m’apercevant, il me jeta un regard noir et
fit claquer son fouet en l’air, comme s’il voulait m’impressionner. Les
esclaves les plus proches de lui frémirent. Certains gémirent même. C’était
comme si une vague de souffrance venait de passer au-dessus d’eux.
    Je
remontai la couverture sur ma bouche et mon nez pour filtrer la puanteur. La
lumière des lampes passait à peine entre les passerelles, les bancs et les
pieds entravés. Mais je pus tout de même distinguer le fond de la cale. C’était
un infect mélange d’excréments, d’urine, de vomi et de restes de nourriture
avariée. Comment pouvaient-ils supporter ça ? S’y étaient-ils habitués
avec le temps, comme ils

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