L'Étreinte de Némésis
un acteur en scène, le
garde-chiourme me regardait. Il hocha la tête. Même à cette distance, je
pouvais percevoir son dédain. C’était son domaine. J’étais un intrus, un
curieux, trop délicat pour un tel endroit. Il fit claquer son fouet au-dessus
de sa tête à mon intention. Les esclaves à ses pieds gémirent. Et il sourit.
Je
songeai à quel point Eco aurait facilement pu échouer dans un tel endroit si je
ne l’avais pas trouvé et recueilli. Un enfant au corps solide, sans langue,
sans famille pour le défendre, avait toutes les chances d’être enlevé et vendu
aux enchères.
A
cet instant, un homme dévala l’escalier. Il me bouscula en passant devant moi,
puis se précipita vers la poupe. Il hurla quelque chose et le tambour doubla
brusquement sa cadence. Tout sembla vaciller alors que le navire s’emballait.
Je tombai à la renverse contre la rampe de l’escalier. La vitesse augmentait de
manière stupéfiante.
Le
tambour résonnait de plus en plus fort, de plus en plus vite. Le messager
repassa devant moi avec la même brusquerie pour remonter sur le pont. J’agrippai
la manche de sa tunique.
— Des
pirates ! dit-il simplement avec une intonation théâtrale. Deux navires
ont surgi d’une crique. Ils sont après nous.
Son
visage était sombre. Mais, assez curieusement, lorsque je le relâchai, j’eus l’impression
qu’il riait.
Je
commençai à le suivre, mais m’arrêtai, fasciné par le spectacle qui se
déroulait tout autour de moi. Le tambour allait encore plus vite. Les rameurs
gémissaient et suivaient la cadence. Le garde-chiourme arpentait la passerelle
centrale. Son fouet claquait. Les rameurs tentaient de l’éviter.
Les
rameurs alignés contre la coque restaient assis sur leurs sièges. Mais les
infortunés de la partie centrale faisaient tout ce qu’ils pouvaient pour garder
le contrôle de leurs rames, s’élevant sur la pointe des pieds, trébuchant,
tendant leurs bras à l’extrême. Ils n’avaient pas le choix.
Et
la cadence accéléra encore. L’impressionnante machine était au maximum de sa
puissance. Les rames faisaient de grands cercles, suivaient un rythme fou. Les
esclaves poussaient et tiraient de toute leur force. Horrifié mais incapable de
détourner mes yeux, j’étudiais leurs visages grimaçants. Les mâchoires étaient
serrées, les yeux étincelaient de peur et de confusion.
Il
y eut un craquement, comme si une des grandes rames s’était brisée. Le bruit
avait été si fort et si proche que je m’étais protégé le visage. Au même
instant, un jeune garçon qui ressemblait à Eco rejeta la tête en arrière. Sa
bouche s’ouvrit comme pour émettre un hurlement silencieux.
Le
garde-chiourme releva son bras. La lanière claqua. L’enfant hurla comme s’il
avait été ébouillanté. Je vis le fouet mordre ses épaules nues. Le petit
esclave vacilla contre sa rame, avant de chanceler sur la passerelle. Enchaîné
à ses anneaux de fer, son corps partit en avant, puis en arrière et enfin il se
redressa, pendu par les poignets. A cet instant, le fouet s’abattit sur ses
cuisses, alors que l’enfant cherchait désespérément à retrouver son équilibre.
Le
garçon hurla. Il se tordit et retomba. La rame l’entraîna dans une nouvelle
révolution. Je ne sais comment il retrouva sa prise, tous les muscles tendus.
Le fouet frappa encore. Le tambour battait. La lanière montait et retombait.
Hurlant, haletant de douleur, Le rameur dansait comme un possédé. Ses épaules
larges se tordaient au rythme du fouet. Son visage était convulsé. Il pleura
comme un petit enfant. Le garde-chiourme ne cessait de le frapper, et de le
frapper encore.
Je
dévisageai le soldat. Il me sourit sinistrement, exhibant une denture pourrie.
Alors il se tourna et cracha sur les épaules d’un autre esclave en plein
effort. Ses yeux dans les miens, il releva son fouet comme s’il me mettait au
défi d’intervenir. Les rameurs gémissaient en chœur. Je regardai le garçon, qui
n’avait jamais cessé de ramer. Il bougea les lèvres à mon intention, incapable
de parler.
Soudain,
j’entendis des pas venant d’en haut. Le messager réapparut, paume levée. C’était
un signal pour le tambour.
— Tout
va bien ! hurla-t-il.
Le
battement cessa brusquement. Dans ce calme soudain, on n’entendait plus que le
clapotement des vagues contre le navire, le craquement du bois et les
halètements rauques des rameurs. A mes pieds, le garçon s’effondra
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