L'Étreinte de Némésis
sur sa rame.
Ses épaules musclées étaient striées de coups. Les blessures les plus récentes
se mêlaient aux cicatrices plus anciennes. Ce n’était pas la première fois que
le gardien s’acharnait sur lui.
Tout
à coup, je ne vis plus rien, je n’entendis plus rien. La puanteur me submergea,
comme si la sueur de tous ces corps avait transformé l’air fétide en poison. Je
bousculai le messager et me précipitai en haut des marches, à l’air frais.
Penché au-dessus de l’eau, je vidai mon estomac.
Au
bout d’un moment, je regardai autour de moi, faible, désorienté, écœuré. Sur le
pont, les hommes amenaient la voile auxiliaire du deuxième mât. L’eau était
calme ; la côte, sombre et silencieuse.
M’ayant
aperçu, Marcus Mummius s’approcha. Il avait l’air en grande forme.
— Eh
bien, ton dîner est reparti ? Cela arrive quand nous allons à pleine
vitesse et que le ventre est plein. J’avais bien dit au propriétaire du navire
de ne pas stocker de provisions si riches. Je préfère rendre un estomac plein
de pain et d’eau qu’un ventre plein de viande à demi digérée et de bile.
Je
m’essuyai le menton.
— Nous
les avons distancés ? Tout danger est passé ?
— Façon
de parler, répondit-il en haussant les épaules.
— Que
veux-tu dire ?
Je
tournai les yeux vers la poupe. La mer était vide.
— Combien
étaient-ils ? Où sont-ils passés ?
— Oh,
il y avait bien mille navires… au moins. Toutes bannières pirates au vent. Et
maintenant ils ont rejoint l’Hadès, leur monde.
L’expression
de mon visage le fit rire.
— Des
pirates fantômes, expliqua-t-il. Des esprits de la mer.
— Attends.
Je ne comprends pas.
Les
marins sont superstitieux, certes, mais je pouvais difficilement croire que
Mummius avait épuisé les rameurs pour distancer quelques bancs de brume ou une
baleine égarée.
Non,
Mummius n’était pas fou. C’était pire que ça.
— C’était
une manœuvre, dit-il finalement en secouant la tête et en m’assénant une grande
tape dans le dos.
— Une
manœuvre ?
— Oui,
une manœuvre, un exercice. Nous devons en faire très souvent, surtout sur les
navires civils comme la Furie, pour être sûrs que tout le monde est
prêt. En tout cas, c’est ainsi que les choses se passent avec…
Il
allait dire un nom, puis se reprit :
— Sous
mon commandement.
— Une
manœuvre, répétai-je stupidement. Tu veux dire qu’il n’y avait pas de pirates ?
Que cette cadence folle était parfaitement inutile ? Les esclaves sont
totalement éreintés…
— Bien !
dit Mummius en levant la tête. Les esclaves d’un maître romain doivent toujours
être prêts et forts. Sinon à quoi servent-ils ?
Les
mots n’étaient pas de lui. Il citait quelqu’un. Quelle sorte d’homme commandait
Mummius et lui permettait d’agir ainsi avec ses outils humains ? Je
baissai les yeux vers les rames immobiles qui sortaient de la Furie. Un
instant plus tard, elles s’animèrent et plongèrent dans les vagues. Les
esclaves avaient eu un bref répit. Le travail reprenait.
Je
pris une profonde inspiration. J’aurais voulu être de retour à Rome, endormi
dans les bras de Bethesda.
4
Un
coup dans les côtes me réveilla. Eco se tenait au-dessus de moi, faisant de grands
gestes pour que je me lève.
Je
m’agenouillai sur le matelas pour regarder par le hublot. La terre était
proche, çà et là une maison perchée sur les falaises. Les demeures les plus
proches de l’eau étaient des masures branlantes, d’humbles habitations
construites avec du bois de récupération et recouvertes de filets. Elles
étaient entourées de bateaux échoués sur la grève. Sur les hauteurs, les
maisons étaient très différentes : c’était de grandes villas à colonnades
blanches et treilles.
Je
m’étirai, m’aspergeai le visage et pris une gorgée d’eau pour me nettoyer la
bouche. Eco avait déjà préparé ma plus belle tunique. Tandis que je m’habillais,
il me coiffa et me rasa. A la moindre secousse du navire, je retenais ma
respiration. Mais il ne me coupa pas une seule fois.
Ensuite Eco m’apporta
du pain et des pommes. Nous sortîmes sur le pont pour les manger en contemplant
le paysage. Marcus Mummius commandait la manœuvre d’approche. Nous entrions
dans la grande baie que les Romains ont toujours appelée la Coupe. Elle
ressemble effectivement à une grande vasque et ses rives sont bordées de
villages. Pour les anciens
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