L'Étreinte de Némésis
passagers sont des poids morts. Ils n’ont rien à
faire. Bon, allez, suivez-moi.
En
changeant de sujet, Marcus Mummius avait évité de reconnaître que Baia était
notre destination. Mais il était inutile d’insister : je savais où nous
nous rendions et maintenant une affaire plus importante occupait mon esprit. Je
commençais à soupçonner l’identité du mystérieux employeur. Qui pouvait fournir
un moyen de transport aussi luxueux pour véhiculer un vulgaire employé ?
Pour une affaire privée, Pompée était probablement en mesure de réunir de
telles ressources. Mais il était toujours en Espagne. Alors il ne restait que l’homme
le plus riche que Rome ait jamais connu, Marcus Licinius Crassus. Mais qu’est-ce
que Crassus pouvait bien vouloir de moi, lui qui possédait des foules d’esclaves
et pouvait s’offrir les services de n’importe quel homme libre ?
J’aurais
pu agacer Mummius avec de nouvelles questions. Mais j’avais déjà suffisamment
mis sa patience à l’épreuve. Je le suivis au soleil de l’après-midi. Des
effluves d’agneau rôti flottaient dans la brise salée. Mon estomac rugissait
comme un lion. Je renonçai à ma curiosité pour satisfaire un appétit plus
pressant.
Mummius
avait tort de penser que je m’ennuierais sur la Furie , au moins tant que
le soleil brillait. Le spectacle toujours changeant de la côte italienne, les
mouettes tournoyant au-dessus de nos têtes, le travail des marins, les jeux du
soleil sur l’eau, les bancs de poissons, l’air vif caractéristique d’une
journée qui n’est déjà plus estivale, mais pas encore automnale… Tout cela
avait largement de quoi me distraire jusqu’au coucher du soleil.
Eco
était encore plus excité que moi. Tout le fascinait. Un couple de dauphins nous
rejoignit au crépuscule. Il accompagna le navire bien après la tombée de la
nuit. On les voyait plonger et replonger en soulevant des gerbes d’écume. Par
moments, ils semblaient rire comme des humains. Eco leur répondait en imitant
leur cri, comme s’ils se parlaient dans un langage secret. Quand finalement ils
disparurent, il alla se coucher le sourire aux lèvres et s’endormit rapidement.
Je
n’eus pas cette chance. Ayant dormi une bonne partie de la journée, je n’avais
pas sommeil. Pendant quelque temps, la côte fantomatique et le scintillement
des étoiles se reflétant sur l’eau me charmèrent autant que le spectacle de l’après-midi.
Puis la nuit se rafraîchit. Alors je regagnai mon lit. Mais Marcus Mummius
avait raison. Le lit était trop doux, ou la couverture trop rêche. A moins que
ce ne fut la lumière des étoiles filtrant par la fenêtre ou les imitations du
rire des dauphins qu’Eco faisait dans son sommeil… J’étais incapable de m’endormir.
Alors,
je perçus le son du tambour. Il venait des profondeurs. C’était un battement
sourd, lancinant, plus lent que mon pouls, mais aussi régulier. La nuit
précédente, j’étais si épuisé que je ne l’avais pas entendu. Mais maintenant je
ne pouvais l’ignorer. C’était le tambour qui réglait le mouvement de rames des
esclaves au pont inférieur, le rythme qui portait le navire vers Baia. Plus j’essayais
de me boucher les oreilles, plus j’avais l’impression que le son montait plus
fort à travers les planches. Et plus je m’agitai dans mon lit, plus le sommeil
semblait s’éloigner.
J’entrepris
de me remémorer la physionomie de Marcus Crassus, l’homme le plus riche de
Rome. Je l’avais vu des centaines de fois au Forum, mais son visage m’échappait.
Ensuite, je comptai mon argent dans ma tête, imaginant le doux tintement des
pièces. Je songeai aux honoraires que j’allais encaisser. Je pensai à Bethesda,
l’imaginant endormie, seule, la petite chatte blottie entre ses seins. En
esprit, je visitai toutes les pièces de ma maison, une à une. Soudain une image
s’imposa à moi : celle d’un Belbo complètement ivre, affalé en travers de
mon portail grand ouvert, laissant libre accès à n’importe quel voleur ou assassin…
Je
sursautai et m’assis. Avec une sorte de petit gémissement, Eco se retourna dans
son sommeil. Je laçai mes chaussures, m’enroulai dans la couverture et
retournai sur le pont.
Çà
et là, des marins dormaient, pressés les uns contre les autres. Quelques-uns
erraient sur le pont, attentifs à toute menace en provenance de la mer ou du
rivage. Une petite brise du nord gonflait la voile et me donnait la
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