L'Étreinte de Némésis
vraiment vu le visage d’un seul esclave dans
la maison. Seulement des têtes baissées et des regards fuyants. Même si on ne
le leur avait pas dit, d’une manière ou d’une autre ils savaient !
Nous
prîmes congé de Gelina. L’entretien était terminé. En sortant de la pièce en
demi-lune, je jetai un dernier regard vers la silhouette sur la terrasse.
Gelina tendait le bras vers l’aiguière pour se resservir une coupe de vin.
Mummius
nous ramena dans l’atrium et nous montra l’endroit où les lettres SPARTA
avaient été gravées sur le dallage. Chaque lettre avait la taille de mon doigt.
Comme Mummius l’avait signalé, elles paraissaient avoir été hâtivement et
grossièrement grattées plutôt que gravées soigneusement. Lorsque Fabius nous
avait introduits dans la maison, j’étais passé sans les voir. Dans la lumière
faible du corridor, elles passaient aisément inaperçues. Soudain le corridor et
l’atrium me semblèrent étranges, avec les masques mortuaires des ancêtres
trônant dans leurs niches, le faune crachant de l’eau et caracolant dans sa
fontaine, le défunt sur sa bière d’ivoire et le nom de l’homme le plus redouté
et le plus méprisé d’Italie griffonné sur le sol.
Dans
l’atrium, la lumière commençait à se voiler. Il serait bientôt l’heure d’allumer
les lampes. Mais il restait assez de temps avant le dîner pour aller faire un
tour à cheval. Je voulais voir l’endroit où la cape ensanglantée avait été
trouvée. Mummius appela le petit Meto, qui revint avec la cape et l’esclave qui
l’avait trouvée. Nous repassâmes entre les deux colonnes à tête de taureau.
Puis nous lançâmes nos chevaux sur la route du nord.
La
cape était dans l’état décrit par Gelina : un vêtement en lambeaux,
sombre, couleur vase, ni franchement usé, ni neuf. On ne trouvait aucune
décoration ou broderie permettant de savoir si elle avait été réalisée sur
place ou non, et si elle avait appartenu à un riche ou à un pauvre. Le sang en
recouvrait une bonne partie. Mais il ne formait pas une seule grande tache. En
fait il y en avait un peu partout. Et un coin du vêtement avait été arraché. Pour
supprimer une marque distinctive ou un insigne ?
L’esclave
avait trouvé la cape le long d’une portion étroite et isolée de la route, à un
endroit où celle-ci s’accrochait au flanc d’une falaise surplombant la baie.
Quelqu’un devait l’avoir jetée du haut de la falaise. La cape froissée s’était
prise dans un arbre squelettique, qui sortait de la roche, plusieurs pieds sous
la route. Un homme à pied ou à cheval n’aurait pu la voir, sauf s’il marchait
juste au bord du précipice et regardait dans cette direction. L’esclave se
trouvait dans un chariot. Il l’avait aperçue à l’aller, alors qu’il se rendait
au marché. Mais il l’avait laissée là. En revenant de Pouzzoles, il s’était
arrêté un instant, avait regardé plus attentivement et s’était dit que cette
découverte pouvait être importante.
— L’imbécile
dit qu’il n’avait pas cherché à la récupérer, parce qu’il voyait bien qu’elle
était tachée de sang, dit Mummius à voix basse. Comme elle était abîmée, elle
ne lui aurait servi à rien. Puis il a pensé que le sang pouvait être celui de
son maître.
— Ou
celui de Zénon ou d’Alexandros, dis-je. Dis-moi qui sait que cette cape a été
découverte ?
— L’esclave
qui l’a trouvée, Gelina, le petit Meto. Et maintenant toi, Eco et moi-même.
— Bien.
Alors je pense, Marcus Mummius, que nous pouvons avoir des raisons d’espérer.
— Ah ?
Ses
yeux s’éclairèrent. Pour un militaire endurci, capable de traiter si durement
les galériens, il semblait étrangement soucieux de sauver les esclaves de la
maison de Gelina.
— Je
ne dis pas ça parce que j’ai une solution à proposer d’ores et déjà, mais parce
que, telles qu’elles se présentent, les choses sont plus compliquées qu’elles
ne devraient l’être. Par exemple, bien que l’arme n’ait pas été trouvée, le
tueur a manifestement utilisé une sorte de gourdin ou de massue pour assassiner
Lucius Licinius. On peut se demander pourquoi, dès lors qu’il disposait d’un
couteau.
— Un
couteau ?
— Ou
une lame quelconque. Avec quoi d’autre veux-tu qu’il ait gravé les lettres ?
Et pourquoi le corps a-t-il été traîné jusqu’à l’endroit où on l’a trouvé ?
Pourquoi n’a-t-il pas été
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