L'Étreinte de Némésis
plutôt qu’en ressassant le passé.
— Par
les dieux, qu’est-ce qu’un homme comme Sylla pouvait bien trouver à raconter à
un personnage comme toi ? murmura Mummius.
Metrobius
le regarda d’un air menaçant.
— Je
pourrais poser la même question sur toi et ton…
— S’il
vous plaît, pas de dispute après le repas, insista Gelina. Cela perturbe la
digestion. Mais toi, Dionysius, continue. Comment as-tu découvert une histoire
aussi fascinante ?
— J’ai souvent
remercié Minerve et les mânes [31] d’Hérodote pour la magnifique bibliothèque rassemblée
par feu ton époux, dit délicatement Dionysius. Pour un homme comme moi, résider
dans une maison pleine de Savoir est une source d’inspiration aussi grande que
vivre dans une maison pleine de Beauté. Et ici, dans cette villa, je n’ai par
bonheur jamais eu à choisir entre les deux.
Gelina
sourit. Un murmure général d’approbation ponctua ce joli compliment.
— Mais
je vais poursuivre, puisque vous m’y invitez. Le soulèvement avorté de Setia
est donc le premier exemple que j’ai pu trouver de révolte générale ou de
tentative d’évasion impliquant un grand nombre d’esclaves organisés. Il y en
eut quelques autres au cours des années suivantes, en Italie ou ailleurs. Mais
la documentation les concernant est assez fragmentaire. Et, en tous les cas,
ces révoltes sont sans comparaison avec les deux guerres serviles siciliennes.
La première a éclaté il y a environ soixante ans, en fait, l’année même de ma
naissance. J’en ai souvent entendu parler dans mon enfance.
« A
cette époque, il semble que les propriétaires terriens de Sicile avaient
commencé à accumuler une grande richesse et un nombre considérable d’esclaves.
Cette richesse rendit les Siciliens arrogants. En raison de l’arrivée constante
d’esclaves en provenance des provinces conquises d’Afrique et d’Orient, ils
avaient très peu d’égards pour cette main-d’œuvre : un esclave rendu
invalide par l’excès de travail ou la malnutrition était aisément remplacé. En
fait, beaucoup de propriétaires auraient par exemple envoyé leurs esclaves
garder les bêtes dehors sans vêtements corrects et même sans nourriture. Quand
ceux-ci se plaignaient de leur nudité ou de la faim, leurs maîtres leur conseillaient
de voler des habits ou de la nourriture à des voyageurs sur la route !
Ainsi, malgré – ou à cause de – toute cette richesse, la
Sicile dégénéra et se transforma en une région sans loi et désespérée.
« Un
certain propriétaire en particulier était connu pour son excessive cruauté. Il
s’appelait Antigenes. Il fut le premier de l’île à marquer ses esclaves au fer
rouge pour les reconnaître. La pratique se répandit bientôt dans toute la
Sicile. Les esclaves qui venaient l’implorer pour de la nourriture ou des
vêtements étaient battus, enchaînés et humiliés en public avant d’être renvoyés
à leur travail, aussi nus et affamés qu’avant.
« Cet
Antigenes avait un favori : un esclave qu’il aimait tour à tour choyer et
humilier. Ce Syrien répondant au nom d’Eunus se prenait pour un grand magicien
et un thaumaturge. Il racontait que les dieux venaient lui parler en rêve. Les
gens adorent toujours écouter de telles histoires, même de la bouche d’un
esclave. Bientôt Eunus commença à voir les dieux en plein jour. Du moins
était-ce ce qu’il prétendait. Il conversait avec eux, disait-il, dans d’étranges
langues, tandis que les autres l’observaient, émerveillés. Il pouvait aussi
cracher le feu.
— Le
feu ?
— Oh,
c’est un vieux truc de théâtre, expliqua Metrobius. Vous faites des trous dans
une noix ou quelque chose de semblable, vous la remplissez de liquide
combustible, vous l’allumez, la mettez dans votre bouche, et le tour est joué.
Des
flammes et des étincelles vont jaillir de la bouche. N’importe quel
illusionniste de Subure peut le faire.
— Mais
ce fut précisément cet Eunus qui amena ce tour de Syrie, poursuivit Dionysius.
Son maître Antigenes lui demandait de se produire lorsqu’il avait des invités à
dîner. Eunus entrait en transe, crachait du feu et ensuite révélait l’avenir.
Plus l’histoire était exotique, plus elle plaisait. Par exemple, il raconta à
Antigenes et à ses invités qu’une déesse syrienne lui était apparue. Elle lui
aurait promis que lui, un esclave, deviendrait roi de toute la Sicile. Mais
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