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L'Étreinte de Némésis

L'Étreinte de Némésis

Titel: L'Étreinte de Némésis Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Steven Saylor
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d’une chanson d’amour : il
parlait de chevelure noire de jais et d’un regard perçant comme une flèche. Ou
encore d’un chant nostalgique, car le refrain reprenait à l’infini « Plus
jamais ! Plus jamais ! Plus jamais ! ».
    Etait-ce
la chanson attendue par Gelina ? Celle-ci écoutait avec une intensité
solennelle. Puis son expression changea lentement. Elle avait l’air aussi
désespérée qu’au cours de notre entretien de l’après-midi. On ne voyait plus
aucun sourire sur les lèvres des convives. Même Metrobius écoutait avec une
sorte de respect, les yeux mi-clos. Une chanson aussi triste, émouvante, avait
de quoi arracher des pleurs. Curieusement, je vis couler une seule larme sur la
joue grisonnante de Mummius. Scintillante traînée de cristal à la lumière pâle de
la lampe, elle disparut rapidement dans sa barbe… mais fut rapidement suivie
par une autre.
    Je
regardai Apollonius. Ses lèvres tremblantes s’entrouvraient pour exhaler une
note chargée de tout le chagrin et de tout le désespoir du monde. J’eus soudain
la chair de poule et un frisson parcourut mon échine. Non pas à cause du
caractère pathétique de la chanson, ni même en raison de la brise de mer qui
envahissait brusquement la pièce. Non : je venais de songer que dans trois
jours il serait mort avec tous les autres esclaves. Son chant s’éteindrait à
jamais.
    Non
loin de moi, dissimulé par la pénombre, Mummius avait plongé son visage dans
ses mains. Il pleurait silencieusement.

2
    Le
logement mis à notre disposition était généreux. La petite pièce de l’aile sud
contenait deux canapés somptueusement capitonnés et un épais tapis. À l’est,
une porte donnait sur une petite terrasse. Eco regretta de ne pas voir la baie.
    — Nous
avons de la chance que Gelina ne nous ait pas mis dans les écuries, lui
répondis-je.
    Il
enleva sa tunique et garda son gilet de corps. Puis il essaya son lit, en
rebondissant dessus jusqu’à ce que je lui donne une petite tape sur le front.
    — Mais
qu’as-tu dans la tête, Eco ? Où te crois-tu ?
    Il
fixa un moment le plafond, puis écrasa sa paume ouverte contre son nez.
    — Oui,
je suis assez d’accord. Cette fois, nous nous heurtons à un mur. Je pense être
payé quoi qu’il arrive, mais qu’est-ce que cette femme attend que je fasse en
trois jours ? Et même en deux jours seulement, en réalité : demain et
la journée des funérailles. Après, ce sera celle des jeux et, si Crassus va
jusqu’au bout, de l’exécution des esclaves. A bien y songer, nous ne disposons
même que d’un seul jour, car que pourrons-nous faire pendant les funérailles ?
Alors, Eco, as-tu vu un meurtrier au dîner ?
    Eco
évoqua les longs cheveux d’Olympias.
    — La
protégée de la femme peintre ? Tu n’es pas sérieux.
    Il
sourit et, avec les doigts, mima une flèche perçant son cœur.
    Je
ris doucement en enlevant ma tunique sombre.
    — Un
de nous au moins fera des rêves agréables cette nuit.
    J’éteignis
la lampe et restai assis un long moment sur le bord du lit. Mes pieds nus
reposaient sur le tapis mœlleux. Dehors, les étoiles étaient froides et la lune
croissante. Près de la fenêtre se trouvait une petite malle. J’y avais déposé
la cape ensanglantée au milieu de nos propres affaires, y compris les
poignards, que nous avions apportées de Rome. Au-dessus du coffre, un miroir
était accroché au mur. Je me levai et allai contempler le reflet de mon visage,
à peine éclairé par la lune.
    Je
vis un homme de trente-huit ans, étonnamment en bonne santé malgré ses nombreux
voyages et son métier dangereux ; un homme aux épaules larges, à la taille
assez forte et aux mèches blanches mêlées à ses boucles noires. Entre deux
âges, le visage n’était pas particulièrement beau, mais pas non plus laid. Le
nez était droit, à peine busqué, la mâchoire large et les yeux marron, graves.
Un homme très chanceux, en somme. Dame Fortune ne l’avait pas flatté, mais ne l’avait
pas davantage négligé. Et il possédait une maison à Rome, un travail stable,
une superbe femme pour partager sa couche et administrer la maison, et un fils
pour porter son nom. Peu importait que la maison fût une vieille masure héritée
de son père, que son travail fût souvent mal considéré et dangereux, que la
femme fût une esclave et pas une épouse, et que le fils ne fût pas de son sang
et muet. À tout prendre, l’homme avait quand même

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