L'Étreinte de Némésis
villa ?
— Hier,
j’ai été très occupé avec ton arrivée et celle de Mummius, répondit-il,
songeur. J’ai eu beaucoup de travail en plus pour le dîner.
— Donc
tu es allé te coucher tôt.
— Oui.
— Et
tu n’as rien vu d’anormal ? Tu n’as entendu personne marcher dans les
couloirs ou descendre vers l’abri à bateaux ?
Il
haussa les épaules d’impuissance et se mordit les lèvres, attristé de ne
pouvoir m’aider.
— C’est
bon. Je me disais que tu pouvais connaître un détail que j’ignore. Mais avant
de partir, je voudrais que tu regardes quelque chose.
Ma
main posée sur son épaule, je le guidai vers la statue du Centaure.
— Regarde-la
tant que tu veux. Touche-la si tu le désires.
Il
tourna les yeux vers moi, histoire de se rassurer. Puis il tendit des doigts
tremblants vers la statue ; il avait une flamme dans les yeux. Mais,
brusquement, il se rétracta et se mordit les lèvres.
— Non,
non. Tout va bien, lui dis-je. Je ne laisserai personne te punir.
Et
je ne laisserai pas Marcus Crassus te détruire, pensai-je. Mais je n’osai pas
faire à voix haute un serment aussi risqué. Fortune elle-même aurait pu
entendre et me frapper pour avoir fait une promesse que même un dieu n’aurait
pas été certain de pouvoir tenir.
4
— Quand
j’étais jeune, je ne me serais jamais abaissée à peindre une fresque. On
peignait à l’encaustique sur des toiles ou sur des panneaux de bois, posés sur
un chevalet. Jamais une fresque sur un mur. C’est ce que mon maître m’a
enseigné : « Les peintures murales sont des travaux d’hommes
ordinaires, disait-il. Tandis qu’un peintre sur chevalet, ah ! un peintre
sur chevalet, il est considéré comme la main même d’Apollon ! Toute la
gloire et l’or vont aux peintres sur chevalet. » Oh ! mais dis-moi,
tu as une sale bosse au front.
Iaia
était très différente de la femme que j’avais vue au dîner la veille. Plus de
bijoux ni de robe élégante. A la place, elle avait enfilé un vêtement informe à
manches longues, qui descendait jusqu’au sol. Le lin grossier était couvert de
taches de peinture multicolores. Sa jeune assistante portait la même tenue.
Elle était encore plus belle à la lumière du jour. Toutes les deux, elles
ressemblaient à des prêtresses de quelque culte féminin étrange, portant leur
maquillage sur leurs vêtements et non sur leur visage.
L’ouverture
dans le plafond remplissait la petit salle circulaire d’un cône de lumière
jaune. Tout autour tourbillonnait une sorte d’univers sous-marin bleu et vert,
peuplé de bancs de poissons argentés et d’étranges monstres des grands fonds.
Les créatures étaient extraordinairement fluides, et les ombres superbement
rendues. L’eau elle-même offrait l’illusion d’une invraisemblable profondeur.
En nous donnant la main, Eco et moi aurions pu tendre les bras d’un mur à l’autre.
— J’ai
fait fortune il y a bien longtemps, poursuivit Iaia. Sais-tu que, dans ma
jeunesse, j’étais mieux payée que Sopolis ? C’est vrai. Toutes les riches
matrones de Rome voulaient avoir leur portrait peint par l’étrange jeune femme
de Cyzique. Aujourd’hui je peins ce que je veux, quand je veux. Ce travail est
un hommage à Gelina. L’idée est née un jour où nous quittions les bains. Nous
nous sentions fraîches et détendues. Elle s’est plainte que cette pièce soit si
nue. Soudain j’eus la vision de poissons, ici, là, partout ! Des poissons
volant au-dessus de nos têtes, des pieuvres rampant à nos pieds. Et des
dauphins au milieu des algues. Qu’en penses-tu ?
— Fascinant,
dis-je simplement.
Eco
contemplait la pièce en secouant la tête comme s’il s’ébrouait. Iaia rit.
— C’est
presque terminé. Toutes les scènes sont achevées. Il ne reste plus qu’à fixer
la peinture à l’eau avec un vernis encaustique. Ces esclaves nous aident, car
cela ne réclame pas de talent particulier. Il faut simplement étaler
soigneusement le vernis avec un pinceau. Mais je dois les surveiller pour que
rien ne soit abîmé. Olympias, secoue un peu celui-ci, en haut de l’échafaudage.
Il est en train de mettre trop de vernis. Les couleurs ne se verront jamais au
travers.
Perchée
au-dessus de nos têtes, la jeune fille nous regarda et sourit. Je pinçai
discrètement Eco : s’il restait bouche bée, ce n’était pas à cause de l’œuvre
d’art qui nous encerclait.
— Ah
oui, jadis, je
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