L'Étreinte de Némésis
sénile le poussait peut-être à suivre la jeune fille. En le regardant, je
le revis, au-dessus de la falaise, épiant Olympias. L’imaginer en train de se
masturber me fit frissonner. Si ce soir son sourire traduisait l’assouvissement
de ses appétits sexuels particuliers, les dieux me donnaient l’occasion de
pénétrer plus intimement son âme que je ne l’aurais espéré.
Pourtant,
Dionysius paraissait ignorer Olympias, allongée à sa droite. Il concentrait
toute son attention sur Crassus. Comme la nuit précédente, il s’empara
finalement des rênes de la conversation. Il chercha à nous divertir ou au moins
à nous impressionner par son érudition.
— Hier
soir, nous avons quelque peu évoqué l’histoire des révoltes serviles, Marcus
Crassus. J’étais désolé que tu ne sois pas là. Peut-être t’aurais-je appris
quelque chose ?
Crassus
prit son temps pour finir de mastiquer un morceau de pain avant de répondre.
— J’en
doute fort, Dionysius. J’ai mené mes propres recherches sur le sujet au cours
des tout derniers mois. J’ai particulièrement étudié les erreurs commises par
les commandants romains impuissants face à des forces certes importantes mais
indisciplinées.
— Ah !
fit Dionysius en hochant la tête. Le grand homme ne s’intéresse pas seulement à
ses ennemis, mais aussi, dirais-je, à leur héritage… et à la tradition
historique qu’ils invoquent, aussi peu reluisante et mal famée soit-elle.
— Je
ne comprends rien à ce que tu racontes ! s’exclama sèchement Crassus.
— Je
veux dire que Spartacus n’a pas exactement surgi du néant. A mon avis, des
légendes ont circulé parmi ces esclaves, des histoires à propos de l’esclave
magicien Eunus dont la fin fut tragique. Ils ont embelli ces récits de faits
héroïques composés de leurs propres rêves.
— C’est
absurde, intervint Faustus Fabius en rejetant une mèche rebelle de cheveux
roux. Les esclaves n’ont pas plus de légendes ou de héros qu’ils n’ont de
femmes, de mères ou d’enfants à eux. Les esclaves ont des devoirs et des
maîtres. Rien d’autre. Les dieux ont conçu ainsi l’ordre du monde.
Un
murmure d’approbation parcourut l’assistance.
— Mais
l’ordre du monde peut être perturbé, reprit Dionysius. Nous ne le voyons que
trop clairement depuis deux ans. Spartacus et sa bande parcourent l’Italie de
long en large, dévastent tout et incitent un nombre croissant d’esclaves à les
rejoindre. Ces hommes font un pied de nez à l’ordre naturel des choses.
— Exactement.
Aussi est-il plus que temps qu’un Romain puissant restaure cet ordre !
tonna Mummius.
— Certes,
mais il serait sûrement très utile, insista Dionysius, de comprendre les
motivations et les aspirations de ces esclaves rebelles.
Fabius
fit une moue méprisante et croqua une olive.
— Leurs
motivations ? Échapper à la vie de labeur à laquelle la Fortune les a
destinés. C’est tout simple. Et leurs aspirations ? Devenir des hommes
libres, même s’ils n’ont pas la force morale requise, surtout ceux qui sont nés
esclaves.
— Et
ceux qui ont été réduits en esclavage à la suite d’une guerre ou d’une
déchéance civique ?
La
question venait d’Olympias, qui rougit en la posant.
— Un
individu réduit au rang d’esclave peut-il vraiment redevenir pleinement un
homme, même si son maître l’affranchit ?
Fabius
redressa la tête.
— Quand
la Fortune a fait d’un homme un bien, une simple chose qui s’achète et se vend,
il est impossible que cet homme retrouve sa dignité. Peut-être rachètera-t-il
son corps, mais jamais son âme.
— Et
si la loi… commença Olympias.
— Les
lois varient.
Fabius
lança un noyau d’olive sur la petite table devant lui. Il rebondit sur le
plateau d’argent et tomba sur le sol, où un esclave se dépêcha d’aller le
ramasser.
— Oui,
un esclave peut racheter sa liberté, mais seulement si son maître le permet. Le
fait même de permettre à un esclave de réunir la somme nécessaire à son rachat
est un leurre, puisqu’un esclave ne peut rien posséder en propre ; tout ce
qu’il peut posséder appartient à son maître. Et même après son émancipation, un
affranchi peut redevenir esclave s’il témoigne de l’impertinence à l’endroit de
son ancien maître. La bienséance lui interdit de s’introduire par le mariage
dans une famille respectable. Un affranchi peut être citoyen ; il ne
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