L'Étreinte de Némésis
faisait
route vers Thurii. Une riche famille fut massacrée pendant la nuit, avec tous
ses invités. Les femmes ont été violées ; les enfants ont dû regarder la
décapitation de leurs pères. Tout cela me glace le sang.
Je
hochai la tête.
— Ta
visite ici… était-ce simplement par plaisir ?
Orata
sourit.
— Je
fais rarement quoi que ce soit par pur plaisir. Même manger satisfait un besoin
vital. J’occupe une bonne partie de mon temps à faire des visites. J’adore
cela. Mais il y a toujours un moment pour les affaires. La pure oisiveté et la
poursuite exclusive du plaisir comme fin en soi sont des comportements
décadents. Je suis né à Pouzzoles, tu vois, mais je suis fidèle aux vertus
romaines.
— Donc
tu étais en affaires avec Lucius Licinius ?
— Il
avait des projets en cours.
— Tu
as déjà reconstruit les bains. Au demeurant un ouvrage remarquable.
Le
compliment lui arracha un sourire.
— Que
restait-il à faire ? Un bassin pour les poissons ?
— Pour
commencer.
— Mais
je plaisantais !
— Ne
plaisante pas avec les bassins de Baia. Ici, de grands hommes pleurent toutes
les larmes de leur corps lorsque leur mulet meurt, et des larmes de joie lorsqu’il
se reproduit.
— Je
ne comprends pas Lucius. Était-il riche ou pas ?
— Lucius
avait toutes sortes d’améliorations en tête pour cette villa. Des rénovations
et des extensions coûteuses. C’est pour cela qu’il m’a demandé de venir passer
quelques jours ici. Il voulait discuter de leur faisabilité et du coût de
certains projets.
— Mais
pourquoi voulait-il dépenser autant d’argent dans une maison qui ne lui
appartenait pas ?
— Parce
qu’il envisageait de l’acheter à Crassus, très prochainement.
— Crassus
était au courant ?
— Je
ne pense pas. Lucius m’avait dit qu’il ferait une offre à Crassus d’ici un mois
environ. Il semblait assez sûr que Crassus accepte.
Orata
baissa la voix.
— Lucius
m’avait dit que la chance de se rendre indépendant de Crassus était enfin
arrivée. Il voulait que nous établissions une sorte de partenariat, lui et moi.
Mon sens des affaires ferait pendant à son capital, disait-il. Je dois admettre
qu’il avançait aussi quelques bonnes idées.
— Mais
tu restais circonspect.
— Le
mot « partenariat » me rend toujours circonspect. J’ai appris tôt à
me débrouiller seul.
— Mais
si Lucius apportait l’argent…
— Voilà
justement la question : d’où sortait cet argent ? Quand j’ai
reconstruit les bains ici, c’est Crassus qui a signé le contrat final. Et c’est
Crassus qui, toujours, a veillé à ce que je sois payé en temps et en heure.
Parfois, il y avait des frais imprévus. Lucius ne voulait pas déranger Crassus,
alors il réglait lui-même. Mais, chaque fois, on avait l’impression que c’était
un sacrifice formidable pour lui.
Orata
fronça le sourcil.
— Je
t’ai dit que Lucius servait toujours des dîners somptueux. En fait, ce n’était
le cas que depuis un an ou deux. La soudaine richesse de Lucius demeure une
énigme pour moi.
— Et
pour Crassus ?
— A
mon avis, Crassus n’en a pas eu connaissance.
— Mais
qu’a pu faire Lucius, à l’insu même de Crassus ? Suggères-tu quelque
affaire louche…
— Je
ne suggère rien, coupa Orata d’un air faussement affable.
Il
détourna son regard de la baie et observa la maison. Les reliefs du dîner
avaient disparu ; même les petites tables avaient été emportées. Orata
soupira et sembla soudain se désintéresser totalement de notre conversation.
— Je
pense qu’il est temps pour moi d’aller me coucher.
— Mais,
dis-moi, Sergius Orata, tu as certainement quelque idée, quelque soupçon…
— Je
sais seulement qu’une des raisons de la venue de Marcus Crassus ici était son
désir d’examiner les livres de comptes de Lucius. Il voulait évaluer ses biens
dans la baie. A mon avis, s’il les étudie attentivement, Crassus risque d’avoir
quelques surprises déplaisantes.
Pour
me rendre dans la bibliothèque, j’évitai de passer par l’atrium, où la
dépouille de Lucius Licinius était exposée. Si une partie de ma mission
consistait maintenant à découvrir quelques transactions gênantes, voire des
activités criminelles de sa part, je ne tenais pas à croiser son fantôme au
milieu de la nuit. Je me munis d’une lampe pour m’orienter dans le labyrinthe
des corridors. Mais je n’en eus pas
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