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L'Étreinte de Némésis

L'Étreinte de Némésis

Titel: L'Étreinte de Némésis Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Steven Saylor
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admis-je.
    Crassus
grimaça.
    — Comment
peut-on accepter de vivre dans le Subure quand il y a tant de quartiers décents
dans Rome ?…
    — Mon
père m’a laissé une maison sur l’Esquilin, expliquai-je.
    — Suis mon conseil :
vends tout ce que tu peux posséder sur l’Esquilin et achète une nouvelle maison
hors des murs de la ville ; sur le champ de Mars [45] au-delà du Forum, on bâtit beaucoup en ce moment près
de l’ancien secteur portuaire. Bel endroit : près de la rivière, avec un
bon air, une valeur qui ne fera que croître. Désires-tu encore du vin ?
    J’acceptai.
Crassus se frotta les yeux. Je vis au mouvement de sa mâchoire qu’il n’était pas
endormi.
    — Mais
nous parlions de Spartacus, reprit-il. Au début, ils n’étaient que
soixante-dix. Imagine soixante-dix misérables gladiateurs thraces décidant d’échapper
à leur maître ? Ils n’avaient même pas de plan, mais comptaient attendre
une occasion. Seulement, l’un d’entre eux trahit. Ils agirent alors par
impulsion. Ils s’emparèrent de haches et de broches dans les cuisines en guise
d’armes. Il faut croire que la déesse Fortune eut envie de s’amuser : sur
leur route, alors qu’ils quittaient la ville, ils croisèrent une pleine
charrette d’armes, qui se dirigeait précisément vers la ferme de Batiatus. A
partir de ce moment-là, rien n’a pu les arrêter. C’est sûr, la menace a été mal
estimée au départ. Personne à Rome n’aurait pu prendre une révolte de
gladiateurs au sérieux. Alors on envoya Clodius avec une demi-légion d’irréguliers.
Ce devait être la fin des révoltés. Ha, ha ! Ce fut simplement la fin de
la carrière politique de Clodius, oui. Les victoires appellent les victoires.
Chaque fois que Spartacus triomphait d’une armée romaine, il lui était encore
plus facile d’inciter des esclaves à le rejoindre. On dit qu’il commande
maintenant une armée de plus de cent mille hommes, femmes et enfants. Et pas
seulement des esclaves : des bergers, des pâtres nés libres se sont joints
à lui. Tu sais ce qui les attire ? On raconte qu’il répartit le butin sans
tenir compte du grade ou de la fonction : les fantassins reçoivent autant
que les généraux.
    Crassus
contracta les lèvres comme si le vin venait de tourner à l’aigre.
    — Toute cette
affaire est ridicule ! Pense donc ! Je suis en train de ramper pour
obtenir l’honneur d’aller affronter un esclave, un gladiateur. Et si je gagne,
le Sénat ne m’offrira pas de triomphe. Pourtant Spartacus représente peut-être
une plus grande menace pour la République que ne l’ont jamais été Jugurtha [46] ou Mithridate [47] . J’aurais de la chance si j’obtenais au moins une
couronne. Et si jamais je devais perdre…
    Une
ombre obscurcit son visage. Il murmura une supplique aux dieux, plongea les
doigts dans sa coupe de vin et jeta les gouttes par-dessus son épaule.
    C’était
le bon moment pour changer de sujet.
    — L’histoire
que Dionysius a racontée ce soir, cette histoire de grotte marine… Etait-elle
vraie ?
    Crassus
sourit, comme lors du dîner.
    — Tout
à fait vraie. Oh, bien sûr, à force d’être racontée, les années l’ont peut-être
un peu enjolivée. A bien des points de vue, ce fut un moment terrible pour moi,
des mois misérables d’attente anxieuse. Et de chagrin.
    Il
fit tourner sa coupe et étudia son contenu.
    — Pour
un jeune homme, c’est une épreuve très dure de perdre son père, surtout après
un suicide. Ses ennemis l’y avaient poussé. Et mon frère a été assassiné
simplement parce que Cinna et Marius essayaient de détruire les meilleures
familles de Rome. Ils auraient liquidé toute la noblesse s’ils avaient pu.
Grâce aux dieux, et surtout à la Fortune, Sylla est apparu pour nous sauver.
    Crassus
renifla.
    — Maintenant
Lucius est mort, et moi… Moi, je suis soit l’homme providentiel, comme
Dionysius te le dira volontiers, soit un homme qui marche sans la moindre
hésitation à son anéantissement… à cause d’un esclave. Je préférerais voir
toute ma fortune disparaître plutôt que d’entendre des murmures derrière mon
dos sur le Forum : « Il a été terrassé par un vulgaire gladiateur… »
    Alors
que je m’agitais, mal à l’aise sur ma chaise, il s’arrêta de boire.
    — Tu
penses que je devrais épargner les esclaves, n’est-ce pas, Gordien ?
    — Si
je peux te prouver qu’ils ne doivent pas mourir.
    Il
secoua

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